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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/292

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Malheur à qui hasarde sa vie à ses désirs. Il y a parfois dans le destin des rencontres mystérieuses ; il y a sous nos pas des espaces de miroirs où nous nous voyons tout entiers au lieu des marécages troubles et ternes qui étaient de la couleur de nos yeux ; il y a en nous des flocons de pureté et de songe qui éteignent la cendre tiède des feux où nous chauffions nos mains dégourdies et scabreuses. Mais hélas, chevalier pur, à l’aube de la nuit de rédemption, tu n’en pus supporter l’intime honte, et, devant toute la blanche campagne tranquille et purifiée tu frissonnas à jamais de ton passé, tu tremblas de la fièvre éteinte de ce que tu fus et tu sentis grandir en toi comme sur une tombe surnaturelle le lys intérieur et funèbre dont ton être ne pouvait plus nourrir la sève évangélique et dont la tige épanouit, visible, hors de ton armure, sa fleur en la grâce morbide et désespérée de ton visage, sa fleur aux pétales froids de tes mains nues.

C’est alors que, redescendu de la neige des mortelles cimes et de retour dans les villes mortes de tes anciens songes et les palais déserts de tes vieux désirs, parmi les luxes et les