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Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/176

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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

je dirai à Françoise que Rosalie la fait demander, et que j’irai la joindre demain. Partez, mon Père, partez sans différer. »

« Oh ! mon fils, je ne puis partir ; le vrai berger ne peut abandonner son troupeau. »

Le bon Père demeura inflexible ; et l’unique alternative fut d’avertir Françoise du danger, et de l’engager à partir seule. Elle refusa positivement de partir sans son mari. Eugène lui représenta qu’il serait déshonoré pour la vie s’il abandonnait, au moment du danger, un établissement que son gouvernement avait confié à sa garde. « Je donnerais volontiers ma vie pour vous, Françoise, lui dit-il, mais mon honneur est un dépôt sacré pour vous, pour mon pays ; je ne puis m’en désaisir. » Ses prières se changèrent en commandements.

« Oh ! ne vous fâchez pas contre moi, lui dit Françoise, je partirai ; mais je ne crains pas de mourir ici avec vous. » À peine eût-elle prononcé ces paroles que des sons effrayants retentirent dans l’air. « C’est le cri de guerre de mon père, s’écria-t-elle ; St. Joseph, secourez-nous, nous sommes perdus ! » La pauvre Françoise se jeta au cou de son époux, le tint longtemps serré dans ses bras, avec une tristesse mêlée d’angoisses, et courut vers le bois. Le terrible cri de guerre suivit, et elle entendit en même temps ces mots comme si on les eût dits, d’une voix aigre, à l’oreille : « Vengeance, le jour de la vengeance de ton père viendra. » Elle atteignit le bois, et monta sur une hauteur d’où, sans être vue, elle pouvait jeter ses regards sur la plaine verdoyante. Elle s’arrêta un instant : les canots iroquois avaient doublé la pointe de l’isle, et arrivaient comme des vautours qui fondent sur leur proie. Les outaouais sortirent précipitamment de leurs cabanes, armés les uns de fusils, les autres d’arcs et de flèches. Le P. Mesnard gagna le pied de la croix, d’un pas lent mais assuré, et s’agenouilla en apparence aussi peu inquiet à l’approche de la tempête, et aussi calme qu’il avait coutume de l’être à sa prière de vêpres. « Ah ! disait Françoise en elle-même, la pre-