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Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/177

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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

mière flèche qui l’atteindra boira son sang de vie ! » Eugène se trouvait partout en même temps, poussant les uns en avant, et arrêtant les autres ; et en quelques instants, tous furent rangés en bataille autour du crucifix.

Les iroquois étaient débarqués. Françoise oublia alors la promesse qu’elle avait faite à son époux ; elle oublia tout dans l’intérêt intense qu’elle prenait à l’issue du combat. Elle vit le P. Mesnard s’avancer à la tête de sa petite troupe, et faire un signal à Talasco. « Ah ! saint Père, s’écria-t-elle, tu ne connais pas l’aigle de sa tribu ; tu adresses des paroles de paix à un tourbillon de vent. » Talasco banda son arc ; Françoise tomba sur ses genoux : « Dieu de miséricorde, protégez-le, » s’écria-t-elle. Le P. Mesnard tomba percé par une flèche. Les outaouais furent frappés d’une terreur panique. En vain Eugène les pressa-t-il de tirer ; tous, à l’exception de cinq, tournèrent le dos à l’ennemi, et prirent la fuite. Eugène paraissait déterminé à vendre sa vie aussi cher que possible. Les sauvages se jetèrent sur lui et ses braves compagnons avec leurs couteaux et leurs casse-têtes. « Il faut qu’il meurt, » cria Françoise ; et elle sortit précipitamment, et comme par instinct, de sa retraite. Un cri de triomphe lui apprit que la bande de son père l’avait aperçue : elle vit son époux pressé de tous côtés. « Ah ! épargnez-le, épargnez-le, cria-t-elle, il n’est pas votre ennemi. » Son père jeta sur elle un regard de colère, et s’écria : « Quoi ! un français, un chrétien ne serait pas mon ennemi ! » et il se remit à l’œuvre de la mort. Françoise se jeta au plus fort de la mêlée ; Eugène jeta un cri de douleur en l’apercevant : il avait combattu comme un lion, lorsqu’il avait cru qu’il lui gagnait du temps pour la fuite ; mais lorsqu’il eût perdu l’espoir de la sauver, ses bras perdirent leurs forces, et il tomba épuisé. Françoise tomba près de lui ; elle l’embrassa et colla sa joue contre la sienne ; pour un moment, ces sauvages ennemis reculèrent, et la regardèrent en silence, mais leurs féroces passions ne furent suspendues que pour un