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le tiers livre

m’en peuz contenter : il peche villainement, il blaſpheme contre la religion. I’en ſuys fort ſcandaliſé. Ie (diſt frere Ian) ne m’en ſoucie d’vn bouton. Ilz meſdiſent de tout le monde : ſi tout le monde meſdit d’eulx, ie n’y pretends aulcun intereſt. Voyons ce qu’il a eſcript.

Panurge leut attentement l’eſcripture du bon vieillart : puys leurs diſt. Il reſue le paouure Beuueur. Ie l’excuſe toutesfoys. Ie croy qu’il eſt pres de ſa fin. Allons faire ſon epitaphe. Par la reſponſe qu’il nous donne, ie ſuys auſſi ſaige que oncques puys ne fourneaſmes nous. Eſcoute ça, Epiſtemon, mon bedon. Ne l’eſtimez tu pas bien reſolu en ſes reſponſes ? Il eſt, par Dieu, ſophiſte argut, ergoté, & naïf. Ie guaige qu’il eſt Marrabais. Ventre beuf, comment il ſe donne guarde de meſprendre en ſes parolles. Il ne reſpond que par diſionctiues. Il ne peult dire vray. Car à la verité d’icelles ſuffiſt l’vne partie eſtre vraye. O quel Patelineux. Sainct Iago de Breſſuire, en eſt il encores de l’eraige ? Ainſi (reſpondit Epiſtemon) proteſtoit Tireſias le grand Vaticinateur au commencement de toutes ſes diuinations, diſant apertement à ceulx qui de luy prenoient aduis. Ce que ie diray, aduiendra, ou ne aduiendra poinct[1]. Et eſt le ſtyle des prudens prognoſticqueurs. Toutesfoys (diſt Panurge) Iuno luy creua les deux œilz. Voyre (reſpondit Epiſtemon) par deſpit de ce que il auoit mieulx ſententié que elle, ſus le doubte propouſé par Iuppiter. Mais (diſt Panurge) quel Diable poſſede ce maiſtre Raminagrobis, qui ainſi ſans propous, ſans raiſon, ſans occaſion, meſdict des paouures beatz peres Iacobins, Mineurs, & Minimes ? Ie en ſuys grandement ſcandaliſé, ie vous aſſie, & ne me en peuz taire. Il a grefuement peché. Son ame s’en va à trente mille panerées de

  1. Ce que ie diray, aduiendra, ou ne aduiendra poinct. C’est à Ulysse que Tirésias parle ainsi :

    quidquid dicam, aut erit, aut non.

    (Horace, Satires, II, V, 60)