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chapitre xxii

Diables[1]. Ie ne vous entends poinct (reſpondit Epiſtemon). Et me ſcandaliſez vous meſmes grandement, interpretant peruerſement des fratres Mendians, ce que le bon Poëte diſoit des beſtes noires, fauues, & aultres. Il ne l’entend (ſcelon mon iugement) en telle ſophiſticque & phantaſticque allegorie. Il parle abſolument & proprement des puſſes, punaiſes, cirons, mouſches, culices, & aultres telles beſtes : les quelles ſont vnes noires, aultres fauues, aultres cendrées, aultres tannées & baſanées : toutes importunes, tyrannicques, & moleſtes, non es malades ſeulement, mais auſſi à gens ſains & viguoureux. Par aduenture a il des Aſcarides, Lumbriques, & Vermes dedans le corps. Par aduenture patiſt il (comme eſt en Ægypte, & lieux confins de la mer Erithrée, choſe vulgaire & vſitée) es bras & iambes quelque poincture de Draconneaulx griuolez, que les Arabes appellent Meden. Vous faictez mal aultrement expouſant ſes parolles. Et faictez tord au bon Poëte par detraction, & es dictz Fratres par imputation de tel meſhain. Il fault touſiours de ſon preſme interpreter toutes choſes à bien.

Aprenez moy (diſt Panurge) à congnoiſtre mouſches en laict. Il eſt, par la vertus Dieu, hæreticque. Ie diz hæreticque formé, hæreticque clauelé[2], hæreticque bruſlable, comme vne belle petite horologe. Son ame s’en va à trente mille charretées de Diables. Sçauez vous où ? Cor Bieu, mon amy, droict deſſoubs la ſcelle perſée de Proſerpine, dedans le propre baſſin infernal, on quel elle rend l’operation fecale de ſes clyſteres, à couſté guauſche de la grande chauldiere, à trois toiſes pres les gryphes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de Demiourgon. Ho le villain.


  1. Son ame s’en va à trente mille panerées de diables. On lit encore à la fin de la page suivante : « ſon ame s’en va à trente mille charrettées de Diables, » et au commencement du chapitre suivant : « qu’il ne damne ſon ame. » Dans tous ces passages l’édition de 1552 donne bien ame, mais il y avait aſne dans celle de 1546. Dans son épitre adressée, le 28 de janvier 1552, à monseigneur Odet, en tête du quart livre (t. II, p. 251), Rabelais ne se reconnaît point responsable de cette facétie, qui avait été prise au tragique, et il dit que François Ier « auoit eu en horreur quelque mangeur de ſerpens, qui fondoit mortelle hæreſie ſus vn N. mis pour vn M. par la faulte & negligence des imprimeurs. »

    Il faut reconnaître que Rabelais était le vrai coupable. Ses imitateurs ne s’y sont pas trompés et ont renouvelé cette dangereuse plaisanterie : « Il ne voulut pas ſe donner au diable apres ſon aſne. » (Moyen de parvenir, p. 67.) — Le Mondain. « Ie ne m’ébahi plus maintenant ſi tu n’as dit gueres de bien de ceus qui conſeruent la ſanté du cors, que meſme tu fais tant peu de comte des autres qui gardent celle de l’ame. Le Democritic. Comment la ſelle de l’aſne, dis-tu ? Quant eſt de moy ie n’ay aſne ni aſneſſe. Le Cosmophile. Ie di celle de l’ame, c’eſt à dire la ſanté de noſtre ame. » (Jacques Tahureau, Premier dialogue du Democritic, p. 93, édit. Lemerre)

  2. Hæreticque clauelé. Les éditions collectives donnent clarelé, et l’Alphabet de l’auteur français explique ainsi ce passage : « Il ſe moque d’vne condamnation de mort qui fut donnée contre vn des premiers huguenots qui embraſſa la Religion Reformée à la Rochelle, lequel eſtoit horloger & auoit fait vne horloge toute de bois qui eſtoit vn ouurage admirable. Mais à cauſe qu’elle auoit eſté faite par les mains d’vn pretendu heretique, les iuges ordonnerent par la meſme ſentence que cette horloge ſeroit brullée par la main du bourreau : ce qui fut executé. Il faut encore remarquer que cet adiectif de clarelé eſt fait du nom de cet horloger, qui auoit nom Clarelé & s’eſtoit rendu fort conſiderable par ſon zele. »