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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/414

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Comment frere Ian ſe raillie auecques les cuiſiniers
pour combatre les Andouilles.


Chapitre XXXIX.


Voyant frere Ian ces furieuſes Andouilles ainſi marcher dehayt, diſt à Pantagruel. Ce ſera icy vne belle bataille de foin, à ce que ie voy. Ho le grand honneur & louanges magnificques qui ſeront en noſtre victoire. Ie vouldrois que dedans voſtre nauf feuſſiez de ce conflict ſeulement ſpectateur, & au reſte me laiſſiez faire auecques mes gens. Quelz gens ? demanda Pantagruel. Matiere de breuiaire, reſpondit frere Ian. Pourquoy Potiphar maiſtre queux des cuiſines de Pharaon, celluy qui achapta Ioſeph, & lequel Ioſeph euſt faict coqu, s’il euſt voulu, feut maiſtre de la cauallerie de tout le royaulme d’Ægypte ? Pourquoy Nabuzardan maiſtre cuiſinier du Roy Nabugodonoſor[1] feut entre tous aultres capitaines eſleu pour aſſieger & ruiner Hieruſalem ? I’eſcoute, reſpondit Pantagruel. Par le trou Madame, diſt frere Ian, ie auſerois iurer qu’ilz autres foys auoient Andouilles combatu, ou gens auſſi peu eſtimez que Andouilles : pour les quelles abatre, combatre, dompter, & ſacmenter trop

  1. Nabuzardan maiſtre cuiſinier du Roy Nabugodonoſor. Dans la Bible (Rois, IV, XXV, 8 et suivants), Nabuzardan est toujours qualifié de « princeps militias » ou « exercitus, » ou de « magister militum. » Toutefois ce n’est pas Rabelais qui a imaginé de le transformer en cuisinier. Il n’a fait en cela que suivre une fort ancienne tradition. On lit dans un poëme allégorique sur le siège de Jérusalem par Nabuchonosor et Nabuzardan, composé en 1180 et dont M. P. Meyer a donné un extrait dans la Romania (VI, 7) :

    Grant mal fit a Iheruſalem,
    A iceſt tens Nabradanz :
    Les oz conduiſt cheualiers,
    Et fut maitres confanoers (sic)
    Prince queurs fut de la coiſine.

    On trouve en outre dans les Anciennes poësies françaises des XVe et XVIe siècles publiées par M. Montaiglon dans la Bibliothèque elzévirienne (t. I, p. 204) : Un Sermon ioyeulx de la vie ſaint Ongnon, comment Nabuzarden, le maiſtre cuiſinier, le fit martirer…