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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/471

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Comment en haulte mer Pantagruel ouyt diuerſes
parolles degelees[1].


Chapitre LV.


En pleine mer nous banquetant, gringnotans, diuiſans, & faiſans beaulx diſcours, Pantagruel ſe leua & tint en pieds pour diſcouurir à l’enuiron. Puys nous diſt. Compaignons, oyez vous rien ? Me ſemble, que ie oy quelques gens parlans en l’air, ie n’y voy toutesfoys perſonne. Eſcoutez. A ſon commandement nous feuſmes attentifz, & à pleines aureilles humions l’air comme belles huytres en eſcalle, pour entendre ſi voix ou ſon aulcun y ſeroit eſpars : & pour rien n’en perdre à l’exemple de Antonin l’Empereur, aulcuns oppouſions nos mains en paulme darriere les aureilles. Ce neanmoins proteſtions voix quelconques n’entendre. Pantagruel continuoit affermant ouyr voix diuerſes en l’air tant de homes comme de femmes, quand nous feut aduis, ou que nous les oyons pareillement, ou que les aureilles nous cornoient. Plus perſeuerions eſcoutans, plus diſcernions les voix, iusques à entendre motz entiers. Ce que nous effraya grandement, & non ſans cauſe, perſonne ne voyans, & en-

  1. Parolles degelees. L’histoire des paroles gelées, puis dégelées, n’est pas de l’invention de Rabelais. Nous tenons de lui-même qu’elle remonte à Antiphanes (Voyez ci-dessous, note sur la l. 13 de la p. 465*). Il n’est donc pas nécessaire d’avoir recours, comme le fait La Monnoye (Ménagiana, t. III, p. 448), au Cortiglano de Balthazar de Castillon, publié chez les Aide en 1528 et traduit en français en 1537, et dont un récit du IIe livre renferme une fiction analogue. Il est encore plus inutile de rapporter tout au long, pour les comparer au texte de Rabelais, deux apologues de Cœlius Calcagninus (Ferrare, 1544) intitulés, l’un : Voces frigoris vi congelatæ, et l’autre : Voces frigore concretæ, dont le second n’est qu’une simple paraphrase des paroles d’Antiphanes.
    * Parolles… volantes. Ἔπεα πτερὁεντα.