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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/473

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chapitre lv

touchans les vns les aultres en figure triangulaire æquilaterale, en la pate & centre des quelz diſoit eſtre le manoir de Verité, & le habiter les Parolles, les Idees, les Exemplaires & protraictz de toutes choſes paſſees, & futures : autour d’icelles eſtre le Siecle. Et en certaines annees par longs interualles, part d’icelles tomber ſus les humains comme catarrhes, & comme tomba la rouſee ſus la toizon de Gedeon : part là reſter reſeruee pour l’aduenir, iuſques à la conſommation du Siecle. Me ſouuient auſſi que Ariſtoteles maintient les parolles de Homere eſtre voltigeantes, volantes[1], mouentes, & par conſequent animees. D’aduentaige Antiphanes[2] diſoit la doctrine de Platon es parolles eſtre ſemblable lesquelles en quelque contree on temps du fort hyuer lors que ſont proferees, gelent & glaſſent à la froydeur de l’air, & ne ſont ouyes. Semblablement ce que Platon enſeignoyt es ieunes enfans, à peine eſtre d’iceulx entendu, lors que eſtoient vieulx deuenuz. Ores ſeroit à philoſopher & rechercher ſi forte fortune icy ſeroit l’endroict, on quel telles parolles degelent. Nous ſerions bien eſbahiz ſi c’eſtoient les teſte & lyre de Orpheus. Car apres que les femmes Threiſſes eurent Orpheux mis en pieces, elles iecterent la teſte & la lyre dedans le fleuue Hebrus. Icelles par ce fleuue deſcendirent en la mer Pontiq iuſques en l’iſle de Leſbos, touſiours enſemble ſus mer naigeantes. Et de la teſte continuellement ſortoyt vn chant lugubre, comme lamentant la mort de Orpheus : la lyre à l’impulſion des vents mouuens les chordes accordoit harmonieuſement auecques le chant. Reguardons ſi les voirons cy autour.



  1. Parolles… volantes. Ἔπεα πτερὁεντα.
  2. Antiphanes. Plutarque, Sur les progrès dans la vertu, 15.