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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/474

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Comment entre les parolles gelees Pantagruel trouua
des motz de gueule[1].


Chapitre LVI.


Le pillot feiſt reſponce : Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy eſt le confin de la mer glaciale, ſus laquelle feut au commencement de l’hyuer dernier paſſé groſſe & felonne bataille, entre les Ariſmapiens, & le Nephelibates. Lors gelerent en l’air les parolles & crys des homes & femmes, les chaplis des maſſes, les hurtys des harnoys, des bardes, les hanniſſemens des cheuaulx, & tout effroy de combat. A ceſte heure la rigueur de l’hyuer paſſee, aduenente la ſerenité & temperie du bon temps, elles fondent & ſont ouyes. Par Dieu, diſt Panurge, ie l’en croy. Mais en pourrions nous voir quelqu’vne. Me ſoubuient auoir leu que l’orée de la montaigne en laquelle Moſes receut la loy des Iuifz le peuple voyoit les voix[2] ſenſiblement. Tenez tenez (diſt Pantagruel) voyez en cy qui encores ne ſont degelees. Lors nous iecta ſus le tillac plenes mains de parolles gelees, & ſembloient dragee perlee de diuerſes couleurs. Nous y veiſmes des motz de gueule, des motz de ſinople,

  1. Motz de gueule. Brocards, réponses vives du genre de celles de la Dorine de Molière « forte en gueule, » comme chacun sait, ce qui irritait tant madame Pernelle. Les mots gelés étant, comme on va le voir, de diverses couleurs, les expressions « motz de gueule… motz d’orez, « sont employées dans ce chapitre par allusion à la langue du blason. La couleur de gueules est le rouge.
  2. Le peuple voyoit les voix. « Omnis populus videbat vocem. » (Exode, XX, 18)