Aller au contenu

Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
467
chapitre lvi

des motz de azur, des motz de ſable, des motz dorez. Les quelz eſtre quelque peu eſchauffez entre nos mains fondoient, comme neiges, & les oyons realement. Mais ne les entendions. Car c’eſtoit languaige Barbare. Exceptez vn aſſez groſſet, lequel ayant frere Ian eſchauffé entre ſes mains feiſt vn ſon tel que font les chaſtaignes iectees en la braze ſans eſtre entonmees lors que s’eſclatent, & nous feiſt tous de paour treſſaillir. C’eſtoit (diſt frere Ian) vn coup de faulcon en ſon temps. Panurge requiſt Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy reſpondit que donner parolles eſtoit acte des amoureux. Vendez m’en doncques, diſoit Panurge. C’eſt acte des aduocatz, reſpondit Pantagruel, vendre parolles. Ie vous vendroys plutoſt ſilence & plus cherement, ainſi que quelque foys la vendit Demoſthenes moyennant ſon argentangine[BD 1]. Ce nonobſtant il en iecta ſus le tillac troys ou quatre poignees. Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles ſanglantes, lesquelles li pilot nous diſoit quelques foys retourner on lieu duquel eſtoient proferees, mais c’eſtoit la guorge couppee[1], des parolles horrificques, & aultres aſſez mal plaiſantes à veoir. Les quelles enſemblement fondues ouyſmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque torche, lorgne[2], brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, On, on, on, on ououououon : goth, mathagoth, & ne ſçay quels aultres motz barbares, & diſoyt que c’eſtoient vocables du hourt & hanniſſement des cheuaulx à l’heure qu’on chocque, puys en ouyſmez d’aultres groſſes & rendoient ſon en degelent, les vnes comme de tabours, & fifres, les aultres comme de clerons & trompettes. Croyez que nous

  1. Argentangine. eſquinance d’argent. Ainſi fut dict Demoſthenes l’auoir quand pour ne contredire à la requeſte des ambaſſadeurs Mileſiens, deſquelz il auoit receu grande ſomme d’argent, il ſe enueloppa le coul auecques gros drappeaulx & de laine, pour ſe excuſer d’opiner, comme s’il euſt eu l’eſquinance. Plutarche & A. Gelli.
  1. C’eſtoit la guorge couppee. « Des paroles sanglantes sont des paroles qui mènent à se couper la gorge. C’est pourquoi le lieu d’où elles étaient parties et où elles retournaient « c’eſtoit la guorge couppée. » (Burgaud des Marets)
  2. Ticque, torche, lorgne. Ces mots figurent dans la chanson de La défaite des Suisses. Voyez ci-dessus p. 115, note sur la l. 19 de la p. 72*. Éloi Johanneau en a conclu qu’il s’agit dans ce chapitre et dans les suivants de la bataille de Marignan. Il croit en voir une preuve de plus dans le nom des Nephelibates (marchant dans les nuages) qui, suivant lui, désigne évidemment les Suisses.