Aller au contenu

Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470
le qvart livre

tent & labourent les bons Theologiens. Mais Pantagruel nous affermoit là eſtre le manoir de Arete (c’eſt Vertus) par Heſiode deſcript[1], ſans toutesfoys preiudice de la plus ſaine opinion.

La gouuerneur d’icelle eſtoit meſſere Gaſter, premier maiſtre es ars de ce monde. Si croyez que le feu ſoit le grand maiſtre des ars, comme eſcript Ciceron, vous errez, & vous faictez tors. Car Ciceron ne le creut oncques[2]. Si croyez que Mercure ſoit premier inuenteur des Ars, comme iadis croyoient nos antiques Druides[BD 1], vous fouruoyez grandement. La ſentence du Satyricque[3] eſt vraye, qui dict meſſere Gaſter eſtre de tous ars le maiſtre. Auecques icelluy pacificquement rediſoit la bonne dame Penie, aultrement dicte Souffreté, mere des neuf Muſes : de laquelle iadis en compaignie de Porus ſeigneur de Abondance, nous naſquit Amour le noble enfant mediateur du Ciel & de la Terre, comme atteſte Platon in Sympoſio[4]. A ce cheualereuz Roy force nous feut faire reuerence, iurer obeiſſance & honneur porter. Car il eſt imperieux, rigoureux, rond, dur, difficile, inflexible. A luy on ne peult rien faire croyre, rien remonſtrer, rien perſuader. Il ne oyt poinct. Et comme les Ægyptiens diſoient Harpocras Dieu de ſilence, en Grec nommé Sigalion, eſtre aſtomé, c’eſt à dire, ſans bouche. Ainſi Gaſter ſans aureilles feut creé[5] : comme en Candie le ſimulachre de Iuppiter eſtoit ſans aureilles[6]. Il ne parle que par ſignes. Mais à ces ſignes tout le monde obeit plus ſoubdain que aux edictz des Præteurs & mandemens des Roys. En ſes ſommations, delay aulcun & demeure aulcune il ne admect. Vous dictez que au rugiſſement du Lyon toutes beſtes loin à l’entour fremiſſent, tant (ſçauoir eſt) que eſtre peult ſa voix

  1. Druydes. eſtoient les pontifes & docteurs des anciens François desquelz eſcript Ceſar lib. 6. de bello Gallico. Cicer. lib. 1. de diuinat. Pline lib. 16. &c.
  1. Par Heſiode deſcript. Voyez Travaux et jours, v. 291.
  2. Ciceron ne le creut oncques. En effet, dans son livre De la nature des Dieux, après avoir longuement discuté l’opinion de ceux qui, à l’exemple d’Héraclite, regardent le feu comme le principe de toutes choses, il termine en disant : « nunc autem concludatur illud, quod interire possit, idjeternum non esse natura : ignem autem interiturum esse, nisi alatur ; non esse igitur natura ignem sempiternum. »
  3. La ſentence du Satyricque.

    Magister artis ingenique largitor,
    Venter.

    (Perse, Prologue, v. 10)
  4. Platon in Sympoſio. — Le Banquet, XXIII.
  5. Gaſter ſans oreilles feut creé. Selon Plutarque (De l’art de conſeruer ſa ſanté) Caton a dit, probablement le premier, que le ventre n’a pas d’oreilles. Ce proverbe est devenu populaire dans notre langue. Rabelais qui l’emploie un peu plus loin, p. 494 : « l’eſtomach affamé n’a poinft d’aureilles, il n’oyt guoutte, » l’avait déjà placé dans le discours latin de Panurge, où il le qualifie de vieil adage, (t. I, p. 263)
  6. Le ſimulachre de Iuppiter eſtoit ſans aureilles. Voyez Plutarque, De Iſis & d’Oſiris, 78.