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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/50

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le tiers livre

N’entendent le bon Pantagruel ce myſtère, le interrogea demandant que prætendoit ceſte nouuelle proſopopée. I’ay (reſpondit Panurge) la puſſe en l’aureille. Ie me veulx marier. En bonne heure ſoit, diſt Pantagruel, vous m’en auez bien reſiouy. Vrayement ie n’en vouldrois pas tenir vn fer chauld[1]. Mais ce n’eſt la guiſe des amoureux, ainſi auoir bragues aualades, & laiſſé pendre ſa chemiſe ſur les genoilx ſans hault de chauſſes : auecques robbe longue de bureau, qui eſt couleur inuſitée en robbes talares entre gens de bien & de vertus. Si quelques perſonaiges de hæreſies & ſectes particuliaires s’en ſont autres fois acouſtrez, quoy que pluſieurs l’ayent imputé à piperie, impoſture, & affectation de tyrannie ſus le rude populaire, ie ne veulx pourtant les blaſmer, & en cela faire d’eulx iugement ſiniſtre. Chaſcun abonde en ſon ſens : meſmement en choſes foraines, externes, & indifferentes, lesquelles de ſoy ne ſont bonnes ne mauluaiſes : pource qu’elles ne ſortent de nos cœurs & penſées, qui eſt l’officine de tout bien & tout mal : bien, ſi bonne eſt, & par le eſprit munde reiglée l’affection : mal, ſi hors æquité par l’eſprit maling eſt l’affection deprauée. Seulement me deſplaiſt la nouueaulté & meſpris du commun viſaige.

La couleur, reſpondit Panurge, eſt aſpre aux potz, à propos[2], c’eſt mon bureau[3], ie le veulx dorenauant tenir, & de près reguarder à mes affaires. Puys qu’vne foys ie ſuis quitte, vous ne veiſtes oncques home plus mal plaiſant que ie ſeray, ſi Dieu ne me ayde. Voiez cy mes bezicles. A me veoir de loing vous diriez proprement que c’eſt frere Ian Bourgeoys. Ie croy bien que l’année qui vient ie preſcheray encores vne foys la croyſade. Dieu guard

  1. Ie n’en vouldrois pas tenir… Il doit y avoir ici une plaisanterie, tirée, comme il arrive souvent, d’une attente trompée ; on croit qu’il va dire : « une bonne somme, » ou quelque chose d’équivalent, pour exprimer qu’il ne renoncerait pas volontiers à ce qu’il a vu, puis, au lieu de quelque chose d’agréable à toucher, il nomme : vn fer chaud.
  2. Aſpre aux potz, à propos. Équivoque empruntée à Guillaume Crétin (Epiſtre à Honorat de La Iaille) :

    .... Vn quidam aſpre aux pots à propos
    A fort blamé ſes tours peruers par vers.

  3. C’est mon bureau. Autre équivoque. Il a été question jusqu’ici d’une robe, pour laquelle Panurge a pris « quatre aulnes de bureau, » c’est-à-dire de bure ; maintenant il s’agit d’un bureau dans le sens actuel de ce mot, c’est-à-dire d’une table où l’on travaille et qui est encore souvent couverte de bure ou de serge. Un peu plus loin, c’est le sens de robe de bure qui revient ; et à peine endossée, cette robe fait à Panurge le même effet que le froc produit à frère Jean. Voyez ci-dessus, p. 134, la note sur la l. 11 de la p. 145.*