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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/516

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le qvart livre

pleine gueule luy diſt. Feſte Dieu Bayart, cela s’appelle, Datum Camberiaci[BD 1]. A bonne heure auoit le Senoys ſes chauſſes deſtachees. Car ſoubdain il fianta plus copieuſement, que n’euſſent faict neuf Beufles & quatorze Archiprebſtres de Hoſtie[1]. En fin le Senoys gracieuſement remercia Vinet, & luy diſt. Io ti ringratio bel meſſere. Coſi facendo tu m’hai eſparmiata la ſpeza d’vn ſeruitiale.[BD 2]

Exemple aultre on roy d’Angleterre Edouart le quint. Maiſtre François Villon banny de France s’eſtoit vers luy retiré : il l’auoit en ſi grande priuauté repceu, que rien ne luy celoit des menus negoces de ſa maiſon. Vn iour le Roy ſudict eſtant à ſes affaires monſtra à Villon les armes de France en paincture, & luy diſt. Voyds tu quelle reuerence ie porte à tes roys François ? Ailleurs n’ay ie leurs armoyries que en en retraict icy pres ma ſcelle perſee. Sacre Dieu (reſpondit Villon) tant vous eſtez ſaige, prudent, entendu, & curieux de voſtre ſanté. Et tant bien eſtez ſeruy de voſtre docte medicin Thomas Linacer[2]. Il voyant que naturellement ſus vos vieulx iours eſtiez conſtippé du ventre : & que iournellement vous failloit au cul fourrer vn apothecaire, ie diz vn clyſtere, aultrement ne povyez vous eſmentir, vous a faict icy aptement, non ailleurs, paindre les armes de france, par ſinguliaire & vertueuſe providence. Car ſeulement les voyant vous auez telle vezarde, & paour ſi horrificque, que ſoubdain vous fiantez comme dichuyct Bonaſe[BD 3] de Pæonie. Si painctes eſtoient en aultre lieu de voſtre maiſon : en voſtre chambre, en voſtre ſalle, en voſtre chapelle, en vos gualleries ou ailleurs, ſacre Dieu vous chiriez par tout ſus l’inſtant que les auriez veues. Et croy que ſi d’abondant vous auiez icy en

  1. Datum Camberiaci. donné à Chambery
  2. Io ti ringratio, &c. Ie te remercie beauſeigneur. Ainſi faiſant tu me as eſpargné le couſt d’vn clyſtere
  3. Bonaſes. animal de Peonie de la grandeur d’vn Taureau : mais plus trappe. lequel chaſſé & preſſé fiante loing de quatre pas & plus. Par tel moyen ſe ſaulue bruſlant de ſon fiant le poil des chiens qui le prochaſſent
  1. Hoſtie. Voici une h dont le nom de la ville d’Ostie n’avait pas besoin et qui aurait bien pu attirer à Rabelais quelque mauvaise affaire. Il est vrai qu’en pareil cas il avait la ressource de rejeter la faute sur ses imprimeurs.
  2. Thomas Linacer. « Thomas Linacer mourut âgé de 64. ans en 1524. & si nous en croions Konigius en sa Bibliothèque, il ne fut Médecin que des Rois Henri VII & Henri VIII. D’ailleurs, Édouard V. n’a commencé à régner qu’en 1483. dix huit ans entiers depuis l’exil de Villon. Ainsi, comme il n’y a pas d’apparence que cet exil ait duré si longtemps, il y en a beaucoup que tout ce que raconte ici Rabelais d’Édouard V. & du Poëte Villon n’est qu’une fable. » (Le Duchat). — Les consciencieuses recherches de M. Longnon sur Villon n’ont fait que prouver la justesse des objections de Le Duchat. Du reste, une découverte récente a établi que cette anecdote est plus ancienne qu’Édouard V et même que Villon. M. Léopold Delisle l’a trouvée dans le manuscrit 205 de la bibliothèque de Tours, qui a pour titre au dos : Compilatio ſingularis exemplorum, et qui appartient à la seconde moitié du XIIIe siècle. Dans le chapitre relatif aux histrions, les vives reparties que Rabelais prête à Villon sont attribuées au jongleur Hugues le Noir, dont les plaisanteries étaient proverbiales au XIIIe siècle. « Banni de France pour quelque mauvais tour, il se réfugia à la cour d’Angleterre. Un soir, le roi Jean le conduisit à ses cabinets, où il avait fait peindre sur la porte, à l’intérieur, Philippe-Auguste avec un seul œil. « Vois donc, dit-il en montrant cette image, vois donc, Hugues, comment j’ai arrangé ton roi. — Vraiment répondit le jongleur, vous êtes sage. — Pourquoi donc ? reprit le roi. — Parce que vous l’avez fait peindre ici. — Et pourquoi encore ? — Parce qu’il est merveilleux qu’en le regardant vous ne soyez pas tous dévoyés. » (L. Delisle, Notes sur quelques manuscrits de la Bibliothèque de Tours, 1868, in-8o, p. 13)