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prologve dv qvart livre

nommé Frapin : c’eſt celuy qui a faict & compoſé les beaux & ioyeux Noelz, en langaige Poicteuin[1]. Il auoit vn Gay en delices à cauſe de ſon babil par lequel tous les ſuruenans inuitoit à boire : iamais ne chantoit que de boire : & le nommoit ſon Goitrou. Le Gay en furie Martiale rompit ſa caige, & le ioignit aux Gays paſſans : vn barbier voyſin nommé Bahuart, auoit vne Pie priuée bien gallante. Elle de ſa perſonne augmenta le nombre des Pies, & les ſuyuit au combat. Voicy choſes grandes & paradoxes : vrayes toutesfois, veues, & auerées. Notez bien tout. Qu’en aduint il ? Quelle fut la fin ? Qu’il en aduint, bonnes gens ! cas merueilleux ! Pres la croix de Malchara[2] fut la bataille tant furieuſe, que c’eſt horreur ſeulement y penſer : la fin fut que les Pies perdirent la bataille, & ſus le camp furent felonnement occiſes, iusques au nombre de 2589362109 ſans les femmes & petis enfans : c’eſt à dire, ſans les femelles & petitz piaux, vous entendez cela : les Gays reſterent victorieux : non toutesfois ſans perte de pluſieurs de leurs bons Souldards : Dont fut dommaige bien grand en tout le pays. Les Bretons ſont gens, vous le ſçauez. Mais s’ilz euſſent entendu le prodige, facilement euſſent congnu que le malheur ſeroit de leur couſté. Car les queues des Pies ſont en forme de leurs hermines, les Gays ont en leurs pennaiges quelques pourtraictz des armes de France. A propos, le Goitrou trois iours apres retourna tout hallebrené, & faſché de ces guerres, ayant vn œil poché. Toutesfois peu d’heures apres qu’il eut repeu en ſon ordinaire, il ſe remiſt en bon ſens. Les Gorgias, Peuple, & Eſcolliers d’Angiers, par tourbes accouroient voir Goitrou le borgne ainſi accouſtré. Goitrou les inuitoit à boire comme de

  1. Noelz, en langaige Poitieuin. Voyez ci-dessus, p. 283, la note sur la l. 7 de la p. 350.*

    *

  2. La croix de Malchara. C’est probablement l’endroit dont Du Fail parle dans le XIXe Conte d’Eutrapel : « quand… vous entonnez ſi triſtement… la bataille des Trante, ou la iournee de Marhara, ne vous prend il enuie d’y retourner ? » Burgaud des Marets a vainement cherché une localité dont le nom se rapprochât de celui-ci : « mais, dit-il, aux environs de Saint-Aubin-du-Cormier, près de la Lande de la Rencontre où l’on s’accorde à placer le théâtre du combat, se trouve la Lande-aux-oiseaux, qui paraît rappeler la légende à laquelle Rabelais fait allusion. »