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Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/131

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Dans son innocence d’enfant, elle ne niait pas leur droit à la martyriser ainsi, mais elle ne se sentait pas le courage d’abdiquer certaine pudeur. Des feuilles sèches glissèrent sur ses épaules, elle les contemplait, rêveuse. Il lui aurait fallu si peu de chose pour chanter, babiller, rire, s’orner de nœuds de rubans, aimer à se faire coquette, uniquement pour son jeune mari. Que lui aurait importé l’hiver ou le printemps ? Elle se serait toujours arrangée de façon à ce qu’il fit bien chaud dans son petit cœur. La lune de miel s’effaçait, devenait rousse, dans leur vilain horizon couvant les tempêtes, il y avait des glaçons entre leurs lèvres, et, dès qu’on essayait de réagir, le fantôme de maman Bartau se dressait tout de suite. Était-ce la même histoire maussade dans chaque ménage de province ? Les médecins avaient-ils, devant les alcôves des époux amoureux, les mêmes ordonnances révoltantes ? Une voix secrète lui disait que non, et qu’une fatale méchanceté de vieille femme était seule capable d’inventer de pareils supplices. Se sauver ? Son père demeurant avec elle, où en prendrait-elle le prétexte ? Implorer son mari une seconde fois ? Ne lui avait-il pas répondu qu’il voulait la paix et que toutes ces tracasseries féminines étaient ridicules ? Il approuvait une opération très raisonnable, en somme, et qui ne lui représentait qu’une formalité naturelle. Certes, on ne la visiterait pas malgré elle, on attendrait qu’elle consentît tout simplement comme le doit faire une excellente épouse destinée à faire une excellente nourrice. Un matin elle s’était réveillée avec une décision irrévocable : elle ne céderait pas, elle ne céderait jamais.