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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/29

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production pour Aristote — ou du moins ce que nous appelons aujourd’hui de ce nom — est donc, à vrai dire, seulement une appropriation : et cette remarque ne nous est point inutile pour expliquer son dédain à l’égard de la méthode chrématistique ou commerciale. Personne, en effet, ne produit ; donc le négociant ne produit pas plus que personne autre : et puisque ce ne sont ni les biens de la nature, ni ceux des Barbares, que le négociant s’approprie, ce ne peuvent être que ceux des autres Grecs. De là à croire à la malhonnêteté essentielle du commerce, il n’y a qu’un pas. Nous verrons plus loin que le même problème s’est dressé plus tard devant l’esprit des scolastiques[1].

Il est bon cependant d’examiner si Aristote n’a pas soupçonné ce que nous appelons aujourd’hui le capital ou du moins le capital fixe.

Non seulement en effet, il reconnaît que « les instruments proprement dits sont des instruments de production et que la propriété est simplement d’usage » ; non seulement il ajoute que « la navette produit quelque chose de plus que l’usage que l’on en fait, tandis qu’un vêtement, un lit ne donnent que l’usage même[2] » : mais encore il distingue parmi les instruments « ceux qui sont inanimés et ceux qui sont vivants[3] ». Tout cela, d’une manière évidente, pour arriver à résoudre — affirmativement du reste — la question de la justice et de la nécessité de l’esclavage, et pour constater que les esclaves pourraient bien devenir inutiles « si les navettes tissaient toutes seules et si l’archet jouait tout seul de la cithare ».

Ce serait en ce sens — dirons-nous — que la guerre et la conquête pourraient être considérées, dans l’économie grecque, comme de véritables moyens de production, en faisant tomber des instruments vivants entre les mains des vainqueurs. Ainsi envisagées, guerre et conquête feraient

  1. Infra, p. 53.
  2. Politique, 1. I, ch. Il, § 5.
  3. Ibid., § 4.