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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/31

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serait mal les connaître. Les généralisations hardies leur répugnaient plus encore que les observations statistiques ne leur étaient impossibles. Ils laissaient la société s’organiser pour ainsi dire et évoluer d’elle-même, sans qu’ils eussent d’autre souci que celui de plier peu à peu les anciens principes aux nécessités nouvelles, grâce à la souplesse du droit prétorien et aux emprunts progressifs qu’ils se permettaient de faire au droit des gens. Il y a bien des sous-entendus économiques dans le régime des lois caducaires et dans la législation augustale du fundus dotalis ; il y aurait eu à faire des études fort intéressantes sur leurs effets et sur leurs causes : mais il ne semble pas que ces sujets aient tenté ni les littérateurs, ni les prudentes.

D’autre part, les jurisconsultes romains étaient assez mal servis par la langue qu’ils maniaient. Ainsi, pour désigner la valeur, le mot même leur faisait défaut : on en a la preuve dans la fameuse constitution de Dioclétien sur la rescision de la vente pour lésion d’outre-moitié, lorsqu’on voit l’empereur se servir uniformément du même mot pretium pour désigner tour à tour, avec force circonlocutions, d’une part le prix qui a été convenu entre les parties et d’autre part la véritable valeur d’échange de l’objet, c’est-à-dire le prix dont il aurait été juste de convenir[1].

Dans le fond cependant, les jurisconsultes classiques avaient distingué la valeur d’échange et la valeur d’usage avec une exactitude et une netteté qui leur font honneur et que les économistes modernes n’ont pas toujours imitées. La valeur d’échange, c’est le pretium, c’est la justa œstimatio, c’est le quanti valet ; la valeur d’usage, c’est le quod interest et parfois aussi le quanti ea res erit, sans cependant qu’aucun de ces divers termes désigne jamais l’utilité physique ou proprement dite[2], comme la valeur

  1. C, IV, XLIV, De rescindenda venditione, 1. 2.
  2. Pour les textes, voir l’intéressant travail de M. Paul Thomas, Essai sur quelques théories économiques dans le Corpus juris civilis, Paris, 1899, pp. 29-44.