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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/34

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mériter d’être pris en considération comme auraient pu l’être les changements de valeur du blé[1] ? Nous posons la question, nous ne la résolvons pas ; nous notons même que notre Code civil en a fait tout autant pour le pouvoir légal de la monnaie, dans son article 1895, malgré notre connaissance très réelle des variations de son pouvoir marchand.

Les théories d’Aristote sur la gratuité du prêt ne paraissent pas avoir influencé les jurisconsultes. Si des moralistes comme Caton et Sénèque condamnaient hautement le prêt à intérêt au nom de la morale, par contre les lois l’admettaient sans conteste depuis la fin des guerres du Samnium — sauf limitation du taux — et les prudents n’y faisaient non plus aucune objection. Nous n’ignorons point sans doute que cette dernière assertion va choquer quelques idées préconçues : mais nous ne l’en croyons pas moins juste et nous demandons un instant d’attention.

En droit romain, le prêt d’argent ou de choses de genre c’est-à-dire le prêt restituable en équivalent et non en identique, le prêt qui implique une mutation de propriété au moment où il est contracté et qui implique par conséquent pour l’emprunteur la faculté de disposer de la chose prêtée, ce prêt là s’appelait le mutuum : or, le mutuum ne donnait jamais au prêteur le droit d’exiger autre chose que le capital ou sors, sans aucune adjonction d’intérêts. Eh bien, a-t-on dit, cette gratuité essentielle du mutuum ne prouve-t-elle pas que les jurisconsultes romains étaient obligés de s’incliner devant la condamnation que le droit naturel lui-même a portée contre le prêt à intérêt ?

Nous avons répondu ailleurs à cette argumentation[2]. Pour nous, elle découle tout entière de l’ignorance où l’on est ordinairement de la doctrine romaine sur la formation des contrats et sur la nécessité d’une causa civilis d’obligation.

  1. Thomas, op. cit., p. 57.
  2. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édition, p. 468.