Aller au contenu

Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne contredit nullement au jus abutendi des jurisconsultes, sans lequel du reste toute pratique de l’aumône serait radicalement interdite et impossible ; il reconnaît même si bien ce jus abutendi qu’à propos du prêt à intérêt il distingue les choses dont on peut user sans les consommer, d’avec celles dont le jus utendi ne se conçoit point sans le jus abutendi[1].

Tout autre est le problème qui l’occupe. Ce problème est même double.

Il s’agit d’abord de savoir quel usage l’homme doit faire de ses biens en général, et de savoir ensuite si le domaine de l’homme est éminent, ne reconnaissant aucun maître au dessus de lui : deux questions qui sont, du reste, intimement liées l’une à l’autre.

Sur la première question, après avoir répondu qu’il est « impie de prétendre que l’homme ne puisse avoir quelque chose en propre quoad potestatem procurandi et dispensandi », le docteur ajoute que « l’homme ne doit pas posséder les choses extérieures comme si elles lui étaient propres, mais comme étant communes, ut scilicet de facili aliquis eas communicet in necessitate aliorum ». Tel est le commentaire de la conclusion qui précédait, conclusion où il affirmait : hominem non decet aliquid ut proprium habere quoad usum[2]. D’où cette conséquence que, si l’on voulait lire la Somme théologique en donnant aux mots le sens qu’ils auraient chez un jurisconsulte, il faudrait aller jusqu’à dire que saint Thomas reconnaît bien

    Or, là où le Sénat était arrêté par cette impossibilité de nature, saint Thomas l’a cru arrêté par une impossibilité de morale ou de justice, sur laquelle, selon lui, des raisons d’intérêt général auraient fait cependant passer. Le Sénat en aurait décidé « non secundum justitiam, sed ne impedirentur utilitates multorum » ; et la permission de l’usure par la loi civile serait une "mesure toute pareille à l’institution du quasi-usufruit. — En tout cas, le quasi-usufruit n’a rien à voir avec l’intérêt ; il se rapproche si peu du prêt à intérêt qu’on pourrait plutôt le regarder comme un mutuum essentiellement gratuit, mais viager.

  1. Voyez plus bas, p. 61.
  2. IIa IIae, quæst. LXVI, art 2.