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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/169

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sembleraient assez légitimes ; le jour où le cœur humain se flatterait d’avoir comblé son abîme ; où cette terre d’exil, déjà riante et commode, le serait devenue au point de laisser oublier toute patrie d’au-delà et de paraître la demeure définitive, — ce jour-là l’argumentation de Pascal aura fléchi.

Elle aura fléchi, toute forte qu’elle est, et plus aisément que sous la lutte et sous la tourmente, comme une neige rigide se trouve fondue un matin aux rayons du soleil, comme le manteau glisse doucement de l’épaule du voyageur attiédi.

Mais la manière de juger dépend beaucoup ici de la manière de sentir, et c’est à chacun de voir si un tel jour est ou n’est pas en train d’arriver.[1]

J’ai beaucoup lu le Port-Royal de M. Sainte-Beuve ; jamais je ne suis tombé sur cette page hardie et prudente, sans la relire, et sans faire à part moi nombre de réflexions.

La critique de M. Sainte-Beuve ressemble à la patte du léopard. Elle se promène douce et veloutée sur le corps de sa victime ; elle en dessine, elle en caresse toutes les formes : quand elle touche à quelque endroit sensible, elle se fait plus moelleuse encore ; puis, tout à coup, la griffe cachée, mais tranchante, s’enfonce profondément dans les chairs.

M. Sainte-Beuve, avec une rare souplesse d’esprit, s’insinue dans la société où vivait l’homme qu’il étudie ; il en respire l’air ; il s’en approprie les

  1. Sainte-Beuve, Port-Royal, III, p. 320-321.