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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/170

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idées et les sentiments ; il se plonge dans un monde qui n’est pas le sien ; il se nourrit d’émotions qu’il n’a jamais éprouvées ; il s’assimile à autrui. Cependant ne vous y fiez pas trop : il se retrouvera bientôt ; il n’est jamais sûr qu’il ne déchire pas brusquement le vêtement d’emprunt qu’il lui a plu d’essayer.

Il faut lui rendre cette justice que son coup de griffe est parfois net et franc. S’il n’a pas de haines vigoureuses, il a d’assez vives susceptibilités. Malheur à l’écrivain qui prête le flanc par quelque gaucherie. M. Sainte-Beuve sait le remettre à sa place, non pas avec la juste et mâle colère qu’inspirent à d’autres les outrages faits à la morale et au bon goût, mais avec cette sévérité méprisante qui accompagne les jugements des esprits déliés sur les maladresses des esprits lourds. Mais s’agit-il d’un homme de génie, faut-il indiquer le point faible d’une œuvre respectée de tous, M. Sainte-Beuve s’y prend d’une autre façon ; il caresse au moment où il fait couler le sang. À peine la victime s’aperçoitelle de sa blessure. C’est après l’avoir si bien parée, c’est par un chemin si doux qu’il la conduit au sacrifice, que, jusqu’au dernier moment, elle ne se doute pas de son sort.

Lisez Port-Royal : on prendrait M. Sainte-Beuve pour le dernier janséniste ; on le dirait élevé dans les petites écoles. Il semble qu’il ait passé plus de veilles à méditer saint Augustin qu’à feuilleter Vol-