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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/287

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pour notre mal qu’il nous a fait souffrir, sa gloire sera mêlée d’hommages et de malédictions.

Une position pareille a de quoi tenter les caractères hardis et les âmes viriles. Toutefois elle a ses côtés épineux, et à tout prendre ces élus du succès sont plus à plaindre qu’à envier. Parmi les lecteurs qui se précipitent sur les ouvrages de M. Renan, combien y en a-t-il que la vogue seule attire ? Les très grands succès ne sont jamais des succès très purs. Ils le seraient du côté de l’auteur qu’ils ne peuvent pas l’être du côté du public. La curiosité, l’engouement, l’esprit d’imitation, l’amour du scandale, l’intolérance haineuse les grossissent toujours. Et puis, on n’est plus maître de soi. On est l’homme d’un livre. Ce livre ne donne qu’une partie de vous-même, pas toujours la meilleure ; il n’importe, il efface les autres. Le souvenir en est sans cesse présent à l’esprit du lecteur ; c’est par lui qu’on est jugé ; les amendements, les corrections n’y font rien, et si par hasard on vient à découvrir qu’on a failli, on se trouve en face de l’irréparable.

M. Renan a dû sentir plus d’une fois les inconvénients d’une telle position. Ils sont peut-être particulièrement graves pour lui. Comme révélation de lui-même, il n’est pas sûr que cette Vie de Jésus soit ce qu’il a écrit de plus important. Faire de l’art au moyen de la critique, reconstruire le drame d’une vie en suppléant par le don de divination à