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LE RAISIN VERT

— Certes, approuva Mme Durras, aussi j’espère qu’il ne sera pas trop troublé par le monstre inconnu l’ayant abordé par la meilleure face. Mais, avec sa violence de réaction, je crains beaucoup cette période de la puberté.

— À ce moment-là, suggéra M. Alapetite, c’est plutôt à son père qu’il appartiendra d’intervenir.

— Oh ! soupira Isabelle, les interventions des pères…

Une cloche tinta, dans le silence, à coups précipités. Des pas rapides, isolés, résonnèrent dans les couloirs de pierre, puis tout le collège s’emplit d’une rumeur marine.

— Allons, dit M. Alapetite en souriant, vous allez le récupérer.

Elle reconnaissait du plus loin, dans les rangs conduits par un abbé au lourd menton, un petit pardessus de ratine bleu marine à boutons dorés. Mais Laurent, lorsqu’il arrivait au parloir, avait encore sa figure du collège : le sourcil bas, la mâchoire contractée, une mèche de cheveux bruns retombant sur son œil avec le mouvement triste et sauvage d’une aile cassée, tel le Laurent que faisaient surgir, à la maison, les attaques de M. Durras.

« Verra-t-on un jour, songeait Isabelle, les hommes savoir élever un autre homme sans faire de lui une brute ? »

Elle accueillit Laurent d’une petite moue souriante, tandis qu’il saluait le directeur. La conversation se prolongea un moment, sur divers sujets, puis Isabelle prit congé, emmenant son fils. Une fois dans la rue, elle l’attira sous la lumière d’un réverbère.

— Montre ta binette… non, ce n’est pas le mien.

Attentive et grondeuse, elle effaçait la saillie de la mâchoire, relevait la mèche pendante, lissait les sourcils en désordre.

— Tu fais ta mère chat ? demanda Laurent, l’œil