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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/214

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LA MAISON DES BORIES

rale, qui faisait admirablement comprendre ce qu’elle disait, laissant voyager chaque mot, chargé de sens, jusqu’où il lui plairait d’aller… On avait tout le temps, on avait toute la vie devant soi pour comprendre ce que cette voix disait, — car on ne pouvait rien imaginer de plus doux que d’écouter cette voix-là pendant toute sa vie et de s’avancer lentement dans le chemin que cette voix-là vous avait ouvert, ce chemin où il fallait avancer toute seule. Mais qu’on était bien, toute seule avec cette voix-là !

— Le pion marche comme une tour, mais sans pouvoir reculer, et prend comme un fou, en diagonale, lorsqu’une pièce ou un pion adverse…

Des bancs de brume s’étalaient dans la vallée. Ils s’élevaient avec lenteur, conservant leur aspect de matelas foulé jusqu’à ce que le vent les prît, les cardât furieusement, les jetât sur la maison comme pour l’engloutir sous cette vague floconneuse qui sentait la noix fraîche et la fumée, — mais la maison ressortait intacte du chaos et la vague allait s’effilocher sur les sapins de la montagne, noircir l’or des bouleaux et des foyards disséminés dans leur nappe sombre et tenter vainement d’éteindre ce tout petit arbre d’espèce inconnue qui brûlait là-haut d’un feu sourd, complètement rouge.



M. Durras, tout à fait remis, mangeait de bel appétit et mangeait de tout, excepté du saucisson, qui lui inspirait maintenant une étrange répugnance. L’heureuse disposition de la convalescence s’était maintenue en lui lorsqu’il fut debout et valide et on le connut plus gai qu’il n’avait jamais été, taquinant Isabelle, plaisantant avec les petites filles et même avec Laurent, qui ne savait qu’en penser. Mais un jour, sa femme le vit s’asseoir à table avec le visage sombre et fermé qu’elle connaissait trop bien. Les