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LA MAISON DES BORIES

dit « Quoique ça », pour « malgré cela », et « je m’en rappelle » et « en face la gare ». Allons ! elle lui avait menti, depuis A jusqu’à Z et comme toujours, il avait été trop bon, trop naïf, toujours prêt à s’attendrir, toujours pris par les sentiments…

Furieux contre elle et contre lui-même, il rejeta cette aventure au néant, d’un haussement d’épaules, et de nouveau la suite des jours à vivre lui apparut comme une terne procession de jours déjà vécus.

Le travail restait son refuge. Là, pas de surprise, pas de mirages à craindre, pas de décevantes métamorphoses. La pensée était sûre de son objet, l’esprit, sûr de sa pensée. Il se retrouvait lui-même, un homme équilibré, lucide, averti, méthodique, impartial, habile à classer les idées et les faits et à exprimer les unes et décrire les autres en formules claires et définitives. Encore six mois d’effort et sa Géologie du Massif Central serait au point, un ouvrage sans précédent pour la minutie de la documentation, l’ampleur des déductions, la nouveauté du plan. On verrait alors ce que c’était qu’Amédée Durras.

Il rentra dans son domaine clos, où ne pénétraient ni femme, ni enfants, ni chagrin, ni angoisse, d’où l’imprévu était banni — et la bourrasque d’hiver se mit à tourner autour de la maison sans qu’il s’en aperçût.

Tous les soirs à six heures il descendait faire sa partie de dames avec le Corbiau Gentil, qui avait retrouvé grâce à ses yeux. Isabelle cousait auprès du feu, les enfants lisaient ou jouaient tranquillement, assis loin d’elle. Encore empreint de cette espèce d’imperméabilité que lui conférait le tête-à-tête avec sa pensée, il percevait leur présence comme un défilé d’ombres chinoises, à l’arrière-plan de sa conscience, de sorte que les hostilités entre Laurent et lui se trouvaient suspendues, faute pour ainsi dire de combattants. Cependant son corps, poursuivant sa vie