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LA MAISON DES BORIES

dire, parce qu’elle n’était ni mère, ni tante, ni cousine, elle était Ma Gentille ou Sa Gentille. « Sa », c’est-à-dire, la Gentille de « On », c’est-à-dire des Carabis. Sa Gentille ou Z’amie, ou Belle-Jolie, — enfin quoi, elle était ce qu’elle était, — et les gens pouvaient bien l’appeler tant qu’ils voulaient Mme Durras, ce qui était naturel en somme, puisque son mari s’appelait M. Durras, ces pauvres gens ne se rendaient pas compte que leur « Madame Durras » ne voulait rien dire du tout et qu’Isabelle répondait à ce nom par simple politesse — et même quelquefois il lui arrivait de prendre un moment avant de répondre, comme si elle s’était demandé pendant ce temps-là quelle pouvait bien être cette Mme Durras dont ils parlaient, — tandis que les enfants n’avaient qu’à prononcer tout bas un des noms qu’ils lui donnaient, fût-ce au milieu de la nuit, quand toute la maison était plongée dans le sommeil, et aussitôt on entendait ses pieds nus trotter sur le parquet et elle demandait : « Qu’y a-t-il ? » Tout cela prouvait bien qu’il y avait d’un côté quelque chose qui n’existait pas et de l’autre quelque chose qui existait, et qu’elle, le Corbiau, se trouvait, justement, par chance, du côté où la chose existait — et alors cela ne faisait aucune différence, qu’elle fût ou non la fille d’Isabelle et qu’elle eût ou non bu de son lait quand elle était petite. »

Le Corbiau soupira d’aise, allongea ses bras nus, minces et dorés, et posa tendrement sa joue sur la terre du sillon. C’était une terre de haut plateau et de très vieux pays : fine, sèche, minérale, et qui ne sentait presque plus la terre. En appliquant l’oreille contre elle, comme les Peaux-Rouges des romans d’aventures, on n’entendait rien, car il n’y avait personne sur le plateau des Bories, sauf le fermier et la famille du fermier qui vivaient farouchement et furtivement dans leur ferme, à la manière des bêtes sauvages. À l’autre bout du plateau il y avait la maison,