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Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/20

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cause hyperorganique. D’un autre côté, les mouvements sont de plus en plus disproportionnés aux impressions de la réceptivité. Le progrès du mouvement semble donc aussi de plus en plus indépendant dans son principe de l’altération matérielle de l’organisme[1].

Mais si la réaction est de plus en plus éloignée et indépendante de l’action à laquelle elle répond, il semble que de plus en plus il faut un centre qui leur serve de commune limite, où l’une arrive et d’où l’autre parte ; un centre réglant de plus en plus par lui-même, à sa manière, en son temps, le rapport de moins en moins immédiat et nécessaire de la réaction qu’il produit avec l’action qu’il a subie. Ce n’est pas assez d’un moyen terme indifférent comme le centre des forces opposées du levier ; de plus en plus, il faut un centre qui, par sa propre vertu, mesure et dispense la force[2].

Que serait-ce donc qu’une semblable mesure, sinon un juge qui connaît, qui estime, qui prévoit et qui décide ? qu’est-ce que ce juge, sinon ce principe qu’on appelle l’âme ?

Ainsi semble apparaître dans l’empire de la Nature le règne de la connaissance, de la prévoyance, et poindre la première lueur de la Liberté.

Cependant, ce sont des indices obscurs encore, incertains et contestés ; mais la vie fait un dernier pas. La puissance motrice arrive, avec les organes du mouvement, au dernier degré de perfection. L’être, sorti, à l’origine, de la fatalité du monde mécanique, se manifeste, dans le monde mécanique, sous la forme accom-

  1. Stahl, Physiolog., p. 214 : « Adeo quidem ut in hoc maxime negotio impingat recentiorum inanis speculatio, dum paribus eventibus causas materialiter pares assignat,  etc. » Dans la doctrine contraire du mécanisme cartésien, voy. spécialement sur l’égalité de l’action et de la réaction, Buffon, de la Nat. des anim.
  2. Cf. Aristot. De an. III, 6.