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Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/30

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la passion l’affaiblit : la continuité ou la répétition de l’action l’exalte et la fortifie. La sensation prolongée ou répétée diminue par degrés et finit par s’éteindre. Le mouvement prolongé ou répété devient graduellement plus facile, plus rapide et plus assuré. La perception, qui est liée au mouvement, devient également plus claire, plus certaine, plus prompte[1].

Dans la conscience du mouvement même, il y a un élément de sensibilité : l’effort. L’effort diminue par la continuité et la répétition du mouvement.

Réciproquement, dans toute sensation, hormis peut-être dans les affections internes des fonctions vitales, la mobilité et la perception ont quelque part : c’est un élément que la continuité ou la répétition ne détruit pas, mais qu’elle développe au contraire et qu’elle perfectionne. En s’appliquant aux sensations les plus obscures du goût et de l’odorat, l’activité les détache en quelque sorte de leur sujet et les transforme peu à peu en objets de perception distincte ; au sentiment elle ajoute ou elle substitue le jugement. Elle réduit de plus en plus, dans le chaud et le froid, dans l’odeur, la couleur ou le son, l’élément de l’affection et de la sensibilité pure ; elle développe l’élément de la connaissance et du jugement. Ainsi, les sensations où l’on ne cherche que le plaisir s’émoussent bientôt. Le goût devient de plus en plus obtus chez celui qui se livre par passion à l’usage fréquent des liqueurs spiritueuses ; chez celui qui cherche la science des saveurs, il devient de plus en plus délicat et subtil.

  1. Destutt de Tracy, Élém. d’idéol., p. 217, 226. M. de Biran, Infl. de l’habitude, passim. Cf. Dugald Stewart, Philos. de l’espr. hum., II, 391. Butler, Analogie, etc., p. 122, 149. Bichat, Rech. sur la vie, art. v. Schrader, De consuetudine (1829, in-8o.), p. 6. La plupart des auteurs qui ont traité de l’habitude ont aperçu cette loi.