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Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/46

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dispersant et se dissolvant sans s’éteindre, mais loin de toute réflexion possible, dans les vagues désirs des plus obscurs instincts.

Toute la suite des êtres n’est donc que la progression continue des puissances successives d’un seul et même principe, qui s’enveloppent les uns les autres dans la hiérarchie des formes de la vie, et qui se développent en sens inverse dans le progrès de l’habitude. La limite inférieure est la nécessité, le Destin si l’on veut : mais dans la spontanéité de la Nature ; la limite supérieure, la Liberté de l’entendement. L’habitude descend de l’une à l’autre ; elle rapproche ces contraires, et en les rapprochant elle en dévoile l’essence intime et la nécessaire connexion.

IV. L’action et la passion ne sont pas renfermées entre l’effort et le dernier degré de la spontanéité vitale. Elles s’étendent au-delà et plus haut dans la volonté et l’intelligence. L’influence de l’habitude s’étend donc aussi à ces régions plus élevées et plus pures de l’esprit et du cœur. Mais nous avons déterminé la loi de l’habitude, et nous en avons assigné le principe dans le type originel et les conditions premières de la conscience. Il nous suffira de vérifier la généralité de cette loi et de ce principe.

Dès que l’âme est arrivée à la conscience de soi, elle n’est plus seulement la forme, la fin, ou même le principe de l’organisation ; en elle-même, il s’ouvre un monde qui se dégage et se détache de plus en plus de la vie du corps, et où elle a sa vie à elle, sa destinée propre et sa fin à accomplir. C’est à cette vie supérieure que semble aspirer sans y pouvoir atteindre le progrès incessant de la vie et de la nature, comme à sa perfection, à son bien[1]. Cette vie, au contraire, a son bien en soi ; et elle le connaît, elle le cherche, elle l’embrasse, à la fois comme son bien, et comme le bien même

  1. Plotin, Énnéad., I, 6 : Ἀναβατέον οὖν πάλιν ἐπὶ τὸ ἀγαθὸν οὗ ὀρέγεται πᾶσα ψυχή… Ἐφετὸν μὲν γὰρ ὡς ἀγαθὸν, καὶ ἡ ἔφεσις πρὸς τοῦτο.