Aller au contenu

Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la perfection absolue. Mais le plaisir et la douleur ont leurs raisons dans le bien et dans le mal ; ils en sont les signes sensibles. Ici donc, dans ce monde de l’âme, se rencontre avec le plus vrai bien, la forme la plus vraie de la sensibilité ; c’est la passion de l’âme, le sentiment. Au sentiment s’oppose l’activité spirituelle et morale qui poursuit le bien ou le mal, tandis que le sentiment en recueille l’impression.

La continuité ou la répétition doit donc affaiblir par degrés le sentiment, comme elle affaiblit la sensation ; elle y éteint par degrés, comme dans la sensation, le plaisir et la douleur. Elle change pareillement en un besoin le sentiment même qu’elle détruit ; elle en rend de plus en plus la privation insupportable à l’âme. En même temps, la répétition ou la continuité rend l’activité morale plus facile et plus assurée. Elle développe dans l’âme non-seulement la disposition, mais le penchant et la tendance actuelle à l’action, comme dans les organes la tendance au mouvement. Enfin, au plaisir fugitif de la sensibilité passive, elle fait par degrés succéder le plaisir de l’action.

Ainsi se développent de plus en plus, dans le cœur de celui qui fait le bien, et à mesure que l’habitude y détruit les émotions passives de la pitié, l’activité secourable et les joies intérieures de la charité[1]. Ainsi, l’amour s’augmente par les témoignages mêmes qu’il donne de soi[2] ; ainsi, il ranime de sa flamme pénétrante les impressions qui s’éteignent, et r’ouvre à chaque instant les sources épuisées de la passion.

Enfin, dans l’activité de l’âme, comme dans le mouvement, l’habitude transforme peu à peu en un penchant involontaire la volonté de l’action. Les mœurs, la moralité, se forment de cette

  1. Butler, Analogie. Dug. Stewart.
  2. Aristot., Éth. Nicom. VIII, 9 ; IX, 7.