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Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/48

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sorte. La vertu est d’abord un effort, une fatigue ; elle devient par la pratique seule un attrait et un plaisir, un désir qui s’oublie ou qui s’ignore, et peu à peu elle se rapproche de la sainteté de l’innocence. Là est tout le secret de l’éducation. Son art, c’est d’attirer au bien par l’action, et d’y fixer le penchant[1]. Ainsi se forme une seconde nature.

Dans le sein de l’âme elle-même, ainsi qu’en ce monde inférieur qu’elle anime et qui n’est pas elle, se découvre donc encore, comme la limite où le progrès de l’habitude fait redescendre l’action, la spontanéité irréfléchie du désir, l’impersonnalité de la nature ; et ici encore c’est la spontanéité naturelle du désir qui est la substance même, en même temps que la source et l’origine première de l’action.

Le monde moral est par excellence l’empire de la liberté. C’est elle-même qui s’y propose sa fin, qui se commande et qui exécute l’action. Mais, de même que dans le mouvement, si c’est la volonté qui pose le but dans l’espace, et détermine la direction, ce n’est pas elle, ou du moins ce n’est pas la volonté réfléchie qui combine et concerte par avance la production même du mouvement, et que le mouvement ne peut sortir que du fonds de l’instinct et du désir, où l’idée de la nature se fait être et substance ; de même, dans le monde moral, l’entendement discerne la fin, et la volonté se la propose, mais ce n’est pas la volonté, ce n’est pas l’entendement abstrait qui peut remuer d’abord dans leur source les puissances de l’âme pour les pousser au bien[2]. C’est le bien lui-même, du moins l’idée du bien, qui descend dans ces profondeurs, y en-

  1. Aristot., Polit. VIII ; Éth. Nicom. X, 10.
  2. Aristot., De an., 9 : Οὐδὲ τὸ λογιστικὸν καὶ ὁ καλούμενος νοῦς ἐστὶν ὁ κινῶν. — Ἔτι καὶ ἐπιτάττοντος τοῦ νοῦ καὶ λεγούσης τῆς διανοίας φεύγειν τι ἢ διώκειν, οὐ κινεῖται. Ibid. 10 : Ὁ μεν νοῦς οὐ φαίνεται κινῶν ἄνευ ὀρέξεως.