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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/483

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régime féodal aux colonies

L’évolution fut plus rapide dans les colonies du littoral fondées ou acquises par les Anglais. Les compagnies auxquelles la Couronne cédait de grandes étendues de terrains et qui les divisaient en fiefs n’étaient représentées dans le Nouveau Monde que par des chargés d’affaires, non par les seigneurs concessionnaires. Lord Baltimore, auquel on fit cadeau du Maryland, et William Penn, fondateur de la Pennsylvanie, furent parmi les rares personnages anglais qui vinrent installer leurs tenanciers, le premier en 1632, le second en 1681 ; encore ne résidèrent-ils pas longtemps dans leurs domaines. Les mandataires n’avaient pas l’autorité suffisante pour maintenir les droits seigneuriaux, et il en résulta de profondes modifications dans la primitive organisation féodale : on ne vit bientôt dans ces ayant-droit que de simples percepteurs contre lesquels l’opinion se révolta de plus en plus. Les tenanciers se liguèrent en assemblées délibérantes et les réunions annuelles se transformèrent graduellement en réunions politiques, d’où les anciens privilèges féodaux furent écartés.

Les différences de toute nature provenant de l’éloignement, des conditions nouvelles du travail, du sol et du climat amenèrent dans les diverses colonies le plus curieux mélange d’institutions distinctes où le caractère premier était difficile à reconnaître. Dans les colonies du sud, les petits feudataires se furent bientôt débarrassés des hauts personnages auxquels les provinces avaient été concédées et constituèrent une véritable aristocratie terrienne faisant cultiver ses terres par des « engagés », c’est-à-dire par des blancs asservis temporairement ou par de véritables esclaves noirs. Dans les communautés de la Nouvelle Angleterre l’évolution prit encore une autre allure. Le zèle religieux des puritains modifia le régime féodal de la société, en substituant le pouvoir des pasteurs et les conseils de discipline ecclésiastique à l’autorité des vassaux concessionnaires. Le gouvernement se transforma en un conseil théocratique dont la hiérarchie fut promptement substituée à celle de l’ancien fief. Cependant les institutions s’entremêlaient d’une façon si bizarre que la province puritaine par excellence, celle de la « Baie » ou de Massachusetts, resta « seigneur esse » de deux provinces achetées dans le territoire du Maine et gouvernées contre leur gré.

Quels que fussent, d’ailleurs, les changements économiques et sociaux qui se produisaient dans les colonies du littoral nord-américain, elles gardèrent sur celles de l’Espagne l’avantage capital de rester en relation constante avec les mères patries et de participer ainsi d’une manière plus