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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/608

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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

également reconnue dans les ordres de chevalerie germanique depuis l’époque de leur fondation, et nul groupe d’hommes dévoués individuellement et collectivement à une même cause ne peut se former sans qu’une règle identique soit implicitement admise. Or, dans le cas spécial de la Pologne, c’est précisément parce que cette loi du « veto libre » était incessamment violée que la nation, tirée, déchiquetée dans tous les sens par les ambitions des grandes familles, tomba dans une désorganisation complète. Outre les dynasties étrangères, telle que la maison de Saxe et la maison de Condé, les grands seigneurs et propriétaires terriens de la Pologne, les Czarloryisky, les Poniatowsky, les Leszczynsky, se plaçaient volontiers au-dessus de tous les votes et de toutes les libertés, achetant les congrès ou leur substituant la force des armées prêtées par quelque puissant voisin. Ainsi, le roi de Pologne sous le règne duquel s’accomplit le premier partage, 1772, Stanislas II Auguste, l’un des anciens amants de l’impératrice dite la « grande Catherine », n’était autre qu’un complice de la Russie et, sous son gouvernement, le général Repnin, nommé par la tzarine, fut le véritable maître.

À la fin, il devint inutile de feindre, et les trois puissances limitrophes de la Pologne procédèrent tranquillement à l’œuvre de dépeçage du pays, que rien de caractéristique ne défendait, ni trait du sol, ni différenciation bien nette de ses habitants. L’Autriche eut le plus gros morceau : outre les montagnes de Szépas, prises en gage depuis deux ans déjà, elle s’adjugea les vastes plaines de la Galicie et de la Lodomirie, pays slaves découpés en dépit de l’homogénéité des races, dont on ne tenait pas compte à cette époque comme on prétendrait le faire aujourd’hui. La Prusse fit plus qu’arrondir ses possessions, elle mit en un seul tenant ses provinces orientales et celles du Brandebourg qui étaient le berceau de la monarchie : on put commencer à parler d’unité politique à propos d’un État composé de plusieurs fragments qui gravitaient autour de centres fort éloignés les uns des autres. La Russie, dont les dimensions étaient énormes déjà, s’accrut moins en proportion, quoique deux millions de sujets nouveaux, Lithuaniens pour la plupart, eussent été transférés au gouvernement de la tsarine. En tout, ce qui restait de la Pologne perdit plus de cinq millions d’habitants ; cependant l’État, réduit sans bataille à près de la moitié de son étendue, ne voulut point toucher à la hiérarchie de classes hostiles, noblesse, bourgeoisie,