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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/466

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l’homme et la terre. — rome

mise en action sur le théâtre nous épouvante, c’est notre loi, c’est « notre droit romain ».

Dès les premières années de la république, une rupture complète s’était produite entre patriciens et plébéiens. Ceux-ci, las de l’oppression, ne s’étaient pourtant pas révoltés, mais ils avaient fait grève, et, sortant de la ville, ils s’étaient retirés sur le mont Aventin, puis, encore plus loin, sur le mont Sacré dont ils menaçaient de faire, avec l’aide des peuplades voisines, une citadelle d’attaque contre Rome. Les patriciens durent parlementer et, comme d’autres en pareille circonstance, récitèrent, sous la forme appropriée aux mœurs romaines, la fameuse fable, Les Membres et l’Estomac, qui serait d’une vérité parfaite si, dans le corps social, les membres recevaient de l’estomac les amples aliments réparateurs qui leur sont dus. A la fin, de bonnes promesses ramenèrent les plébéiens dans la ville et l’on réussit à les satisfaire à demi par des concessions politiques, sans céder en rien sur le fond même de la question, puisque les pauvres restèrent pauvres, sans droit à la possession de la terre. Toutefois, l’institution de deux tribuns du peuple, magistrats inviolables, armés du droit d’opposer leur veto à toute loi qui déplaisait au peuple, et même de faire proposer d’autres lois par voie de plébiscite, aurait pu devenir fatale à l’aristocratie romaine, si elle n’avait pas eu soin de parer à ce grand danger. Elle mit en pratique une méthode qui a servi de tout temps aux classes dirigeantes menacées, mais nulle part n’a été appliquée avec un tel esprit de suite ni autant de succès qu’à Rome : entretenir les guerres extérieures qui enlevaient au peuple son élite de jeunes gens et d’hommes faits et détournaient contre l’étranger les passions de haine et de vengeance. Au lieu de donner aux prolétaires, dans le sein même de la République, la part égale à laquelle ils auraient pu prétendre ; on faisait miroiter devant eux l’ivresse des pillages futurs.

Et naturellement toutes ces guerres extérieures, décrétées par des patriciens, commandées par d’autres nobles et destinées à l’affermissement de leur pouvoir sur la foule plébéienne, fortifiaient le parti aristocratique dans tout le domaine des conquêtes, et même par delà les frontières dans tous les pays non encore annexés. A Rome, les soldats, divisés d’abord par « mille » — d’où le nom de miles[1] —, se ran-

  1. R von Ihering, ouv. cité.