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Pauvre enfant, quelles perpétuelles tentations, parmi tant d’élégances ! Tout à l’heure, vous remettrez quelque modeste toque et regagnerez, par le métro, en seconde, le lointain quartier populeux où vous habitez, avec votre maman. Car vous êtes sérieuse, petite demoiselle, je le sais, et vous avez du mérite, étant si jolie.

Je m’en vais, songeur. Je la plains parce qu’elle est charmante. Si elle était laide, je ne penserais pas à la plaindre, je me connais.

Rentré à l’hôtel, j’écris à Marie-Louise pour lui mander que ma soirée est prise et que j’ai fait la commission chez la modiste. Encore préoccupé du triste sort des petites ouvrières, de tout ce laborieux, coquet, joli peuple féminin, j’ajoute à ma lettre une recommandation pour Marie-Louise, en faveur de Mlle Claire, et des phrases émues sur le sort des travailleuses parisiennes. Elles me plaisent, ces phrases émues. Je les recopie, en note. Ça servira pour un roman. Et je termine par des tendresses à Marie-Louise. Elles me plaisent aussi les tendresses. Je les recopie également, toujours pour un roman — ou pour une autre. On a si peu le temps d’écrire, à Paris.

Puis j’oublie Mlle Claire, ma recommandation, les chapeaux, la facture même.

Mais Marie-Louise se souvient. Elle m’écrit. Elle a vu Mlle Claire, elle lui a parlé, elle connaît toute l’histoire de la petite vendeuse et de sa vieille mère. « Comme tu es bon, ajoute Marie-Louise, de t’intéresser à la vie des pauvres gens ! Tu as eu raison de me parler de Mlle Claire ; loin d’être jalouse, j’ai fait quelque chose pour elle. Grâce à moi, les voilà sorties, elle et sa vieille mère, d’une position bien précaire. »

Enfin, il y en a quatre pages, criblées de fautes d’orthographe, sur papier de luxe très parfumé. Ça fait l’effet d’un gros bouquet de fleurs des champs dans un boudoir élégant.

Moi qui connais le style et la manière de Marie-Louise, je comprends qu’elle doit être réellement émue. Mais qu’est-ce qu’elle a bien pu faire ? Elle est capable, la