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Page:René Le Coeur Le bar aux femmes nues, 1925.djvu/57

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d’épicier : « des bobons ! » prononcent-ils avec un air gourmand de nègres qui demandent des verroteries.

Ils achètent aussi, au lieu de pain et de fricot, des toilettes et des chapeaux, des robes d’un vert épinard ou d’un bleu céleste, introuvables ailleurs ; des chapeaux à pivoines fracassantes, ou panaches de mousquetaires ; qui, sur la grande place, rappelle les beaux jours de la cour de Ranavalo et les pittoresques défilés des reines nègres des romans de Jules Verne,

Et je n’ai pas dîné pour acheter des gants !

Au début de son séjour, Marie-Louise qui avait bon cœur, comme toutes les femmes vivant de leur corps, s’était intéressée aux malheurs des gens du pays. Car ils connaissent l’art d’apitoyer et de demander des secours ; et ils en remontreraient aux professionnels de l’assistance publique.

— Ma pauvre femme, disait un jour Marie-Louise à une veuve de matelot : vous avez perdu votre mari en mer ! C’est une perte irréparable.

— Oh ! ma p’tite dame, pour dire que c’est eun’ perte, c’est pas eun’ perte. Quand mon homme était vivant, y m’battait pour que j’y fasse ed’ la soupe. À c’t’heure, y m’hattra plus et l’gouvernement m’servira eun’ tite rente.

Avoir eun’ tite rente du gouvernement ! Marie-Louise avait trouvé ce même désir chez une fiancée à qui elle disait :

— Vous allez épouser un marin. Ils ne sont jamais près de vous, vos marins ; quand ils partent, on doit toujours trembler de ne plus les revoir ! Oh ! moi, à votre place, j’aurais épousé un cordier.

Il y a des corderies à Theuville. Et sauf, les commerçants, qui n’est point matelot est cordier,

— Un cordier, j’dis pas, ma pt’ite dame, avait répondu la jeune fille. Mais les cordiers, c’est pas de rapport : quand y meurent, on vous fait point de pension !

Elle avait pensé tout de suite à cela, la blonde demoiselle, et elle escomptaït déjà un peu la mort de son futur