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Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/185

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débordait et l’entraînait. Il est évident que le titre de rabbi, dont il s’était d’abord contenté, ne lui suffisait plus ; le titre même de prophète ou d’envoyé de Dieu ne répondait plus à sa pensée. La position qu’il s’attribuait était celle d’un être surhumain, et il voulait qu’on le regardât comme ayant avec Dieu un rapport plus élevé que celui des autres hommes. Mais il faut remarquer que ces mots de « surhumain » et de « surnaturel, » empruntés à notre théologie mesquine, n’avaient pas de sens dans la haute conscience religieuse de Jésus. Pour lui, la nature et le développement de l’humanité n’étaient pas des règnes limités hors de Dieu, de chétives réalités, assujetties à des lois d’une rigueur désespérante. Il n’y avait pas pour lui de surnaturel, car il n’y avait pas de nature. Ivre de l’amour infini, il oubliait la lourde chaîne qui tient l’esprit captif ; il franchissait d’un bond l’abîme, infranchissable pour la plupart, que la médiocrité des facultés humaines trace entre l’homme et Dieu.

En tout cas, la rigueur dogmatique n’était nullement d’un tel monde. Tout l’ensemble d’idées que nous venons d’exposer formait dans l’esprit des disciples un système si peu arrêté, que le fils de Dieu, cette espèce de dédoublement de la Divinité, ils le font agir purement en homme. Il est tenté ; il ignore bien des choses ; il se corrige ; il est abattu, découragé ; il demande à son Père de lui épargner des