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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/428

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que j’ai envié votre sort, et que j’appelais de mes vœux une cause quelconque qui retardât pour moi mon entrée dans le tourbillon de la vie active, en prolongeant l’assoupissement de la vie domestique si calme, si insoucieuse. Vous le comprendrez, mon ami, quand je vous aurai exposé les épreuves par lesquelles j’ai dû passer, et celles qui me sont encore réservées. Je n’entreprendrai pas de vous en faire un récit détaillé, ce sera l’objet de nos futures conversations. Je vous en dirai seulement les faits principaux et ceux qui ont amené un résultat durable.

Ma résolution inébranlable en venant à Saint-Sulpice était de rompre enfin avec un passé qui n’était plus en harmonie avec mes dispositions actuelles et de quitter un extérieur qui ne pouvait plus être qu’un mensonge. Mais je voulais tout faire gravement et lentement, d’autant plus qu’une réaction dans un avenir plus ou moins éloigné ne me paraissait pas improbable. Une circonstance extérieure vint hâter, malgré moi, mes pas un peu lents. À mon arrivée à Saint-Sulpice, on m’apprend que je ne fais plus partie du séminaire, mais bien de la maison des Carmes, que l’archevêque vient enfin de fonder définitivement, et l’on m’intime l’ordre d’aller dans la journée lui porter moi-même ma réponse. Jugez de mon embarras. Il redouble encore quand, quelques heures après, on m’apprend que l’archevêque est venu lui-même au séminaire et demande à nous parler. Accepter était immoral, donner la vraie raison du refus était impossible, en donner une fausse me répugnait. J’eus recours au bon