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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/429

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M. Carbon, qui se chargea de tout et m’épargna cette fatale entrevue. Je crus devoir poursuivre dès lors ce que les circonstances avaient si bien commencé pour moi ; je fis en un jour ce que je comptais faire en quelques semaines, et, le soir même de mon arrivée, je ne faisais partie ni du séminaire ni de la maison des Carmes.

Que de liens, mon ami, rompus en quelques heures ! J’en étais effrayé ; j’eusse voulu arrêter cette marche fatale, trop rapide à mon sens ; mais la nécessité me poussait en avant, et il n’y avait plus moyen de reculer. C’est alors, mon ami, que je passai les jours les plus cruels de ma vie. Figurez-vous l’isolement le plus complet, sans ami, sans conseil, sans connaissance, sans appui au milieu de personnes froides et indifférentes, moi qui venais de quitter ma mère, ma Bretagne, ma vie toute dorée, tant d’affections pures et simples. Seul maintenant dans ce monde, pour qui je suis un étranger. Ô maman, ma petite chambre, mes livres, mes études calmes et douces, mes promenades à côté de ma mère, adieu pour toujours ! Adieu à ces joies pures et douces où je me croyais près de Dieu ; adieu à mon aimable passé, adieu à ces croyances qui m’ont si doucement bercé. Plus pour moi de bonheur pur. Plus de passé, pas encore d’avenir. Et ce monde nouveau voudra-t-il de moi ? J’en quitte un autre qui m’aimait et me caressait. Et ma mère, dont la pensée autrefois était mon soulagement dans mes peines, cette fois c’était mon souvenir le plus douloureux. Je la poignardais presque. Ô Dieu, fallait-il me rendre le