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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/66

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Jersey ; on ne voit pas bien pourquoi ; certainement on ne lui aurait fait aucun mal ; mais les nobles de Tréguier lui dirent que le roi l’ordonnait, et il partit avec les autres. Il revint de bonne heure, trouva sa vieille maison, que personne n’avait voulu occuper, dans l’état où il l’avait laissée. À l’époque des indemnités, on essaya de lui persuader qu’il avait perdu quelque chose, et il y avait plus d’une bonne raison à faire valoir. Les autres nobles étaient fâchés de le voir si pauvre, et auraient voulu le relever ; cet esprit simple n’entra pas dans les raisonnements qu’on lui fit. Quand on lui demanda de déclarer ce qu’il avait perdu : « Je n’avais rien, » dit-il, « je n’ai pu rien perdre. » On ne réussit pas à tirer de lui d’autre réponse, et il resta pauvre comme auparavant.

» Sa femme mourut, je crois, à Jersey. Il avait une fille qui était née vers l’époque de l’émigration. C’était une belle et grande fille (tu ne l’as vue que fanée) ; elle avait de la sève de nature, un teint splendide, un sang pur et fort. Il eût fallu la marier jeune, mais