Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/495

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Jérusalem, Jésus n’était plus lui-même. Sa conscience, par la faute des hommes et non par la sienne, avait perdu quelque chose de sa limpidité primordiale. Désespéré, poussé à bout, il ne s’appartenait plus. Sa mission s’imposait à lui, et il obéissait au torrent. La mort allait dans quelques jours lui rendre sa liberté divine et l’arracher aux fatales nécessités d’un rôle qui à chaque heure devenait plus exigeant, plus difficile à soutenir.

Le contraste entre son exaltation toujours croissante et l’indifférence des Juifs augmentait sans cesse. En même temps, les pouvoirs publics s’aigrissaient contre lui. Dès le mois de février ou le commencement de mars, un conseil fut assemblé par les chefs des prêtres[1], et dans ce conseil la question fut nettement posée : « Jésus et le judaïsme pouvaient-ils vivre ensemble ? » Poser la question, c’était la résoudre, et, sans être prophète, comme le veut l’évangéliste, le grand prêtre put très-bien prononcer son axiome sanglant : « Il est utile qu’un homme meure pour tout le peuple. »

« Le grand prêtre de cette année », pour prendre une expression du quatrième évangéliste, qui rend très-bien l’état d’abaissement où se trouvait réduit

  1. Jean, xi, 47 et suiv.