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le cahier rouge

« Eh ! le moment s’approche ! » pensa M. Le Tellier.

Il prit sa montre exacte, pour la mettre au gousset.

« Juste neuf heures et demie. »

Précisément alors, un coup de timbre résonna dans l’antichambre, comme pour sonner cette demie, à défaut des pendules arrêtées.

Souriant de la coïncidence, M. Le Tellier fut ouvrir lui-même… Et le sourire quitta ses lèvres soudainement décolorées.

M. Monbardeau se tenait là, en costume de voyage, et le regardait avec tristesse.

— « Qu’y a-t-il encore ?… C’est grave ?… »

— « Rassure-toi. Tous ceux que tu as laissés à Mirastel se portent bien. Mais, en effet… »

— « Marie-Thérèse… »

— « Non, non !… — Robert est mort, mon pauvre vieux ! »

— « Ah ! !… Mais comment le sais-tu ?… Et pourquoi laisser seuls Maxime, qui est si malade encore, et les femmes ?… Ne pouvais-tu m’écrire ou me télégraphier ? »

— « J’avais mes raisons, tu peux le croire… Écoute-moi :

» L’avant-dernière nuit — celle de ton départ — j’ai été réveillé par un sifflement de chute ; et, comme d’habitude, je suis allé dès le matin, hier, dans la direction voulue. Mme Arquedouve m’avait dit : « Un aérolithe est tombé cette nuit entre Aignoz et Talissieu.» Là, c’est le marais.

» Au bout de trois heures, aidé de quelques hommes téméraires et surtout cupides, à qui j’avais promis une bonne étrenne, il me fut permis de retrouver…

» C’était dans un endroit limoneux à l’extrême ; nous avancions sur des planches qu’il fallait sans cesse enlever derrière nous et rejeter en avant… — Au fond d’une espèce de flache creusée par la violence du choc, une masse informe s’enlizait lentement. Nous l’avons dégagée au prix d’efforts incroyables… Quelque chose me disait que nous ne devions pas céder…

» J’ai vu tout de suite qu’il n’était pas mort de sa chute, mais bien avant. La commotion n’avait broyé