Aller au contenu

Page:Renaud - Recueil intime, 1881.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
LE FLOT TENTATEUR

Sous des ombrages frais que la brise balance,
Mon cœur, libre d’angoisse, y dort dans l’indolence.
Les fruits sont savoureux, les fleurs parfument l’air ;
Les oiseaux, doucement, chantent dans un ciel clair.
Sans risquer la douleur, au plaisir on se livre ;
L’âme n’a point de joug, rien ne gêne pour vivre.

Les bourreaux d’autrefois, les vieux rêves, sont morts ;
Les désirs effrénés qui, sans bride ni mors,
Poursuivaient follement l’idéal hors d’atteinte,
Les aspirations vers l’éternelle étreinte
Dont rien ne change, rien ne meurt, rien ne finit,
Le dégoût de la terre où l’âme se ternit
Dans le bien-être obscur et la vulgaire joie,
Le frisson qui vous tord le cœur et vous le broie
Et vous le brûle, et qui s’appelle l’inconnu,
Toutes ces choses-là, qu’est-ce donc devenu ?

A présent, je connais la vérité des choses.
Le soleil, les oiseaux chantants, les fleurs écloses
Enseignent qu’il serait insensé de vouloir
Plus de durée au jour que du matin au soir,
Qu’il faut savoir user du court bonheur qui passe
Et, sans lever les yeux vers l’insondable espace,