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Page:Renaud - Recueil intime, 1881.djvu/122

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RECUEIL INTIME


Se donner au présent et jouir du réel.

Plus de cœur irrité par les secrets du ciel !
A prendre tout est bon, ayant le moindre charme ;
Rien n’est bon qu’à chasser, qui vous coûte une larme.

Pourtant je suis rêveur à regarder la mer.
Avec son flux grondant, le vaste gouffre amer
Me fait peur et m’attire. Implacable à qui l’aime,
Il m’a jadis tout pris, en m’attirant de même.
Mais mon cœur bouillonnait ; et, dussé-je en mourir,
J’y veux sentir encor l’ancien frisson courir.
Je veux, la chevelure éparse, l’œil en flamme,
M’élancer de nouveau vers l’horizon de l’âme,
Et voir si, cette fois, faisant mon cœur plus fort,
De mon rêve inconnu je toucherai le port.

Ô palpitation des flots, senteur marine,
Passez-moi votre vie, emplissez ma poitrine.
Bise, fouette mes yeux ! vagues, enroulez-moi !
Mon amour est pour vous plus grand que mon effroi ;
Et, si vous me gardez de nouveau la détresse,
Abîmes infinis dont je subis l’ivresse,
Du moins, loin de mon rêve et loin de mon désir,