Aller au contenu

Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette signification panthéistique de l’ubiquité ressort plus fortement dans la théologie scolastique, si on consent à oublier pour un moment les autres dogmes qui s’opposent à celui-là dans la doctrine chrétienne. En effet, la théologie ajoute à la toute-présence de Dieu sa toute-puissance créatrice, exercée partout où quelque chose de réel se produit en acte. Dieu est dans tous les lieux sans se localiser, partout tout entier, non pas comme partie ou attribut de la chose qui se fait, mais de la manière dont l’agent est présent à ce dans quoi il agit. C’est la doctrine thomiste. Or l’idée de l’infini est la source des imaginations contradictoires de ce genre, parce qu’elle a le don de présenter en images des rapports irréalisables. La supposition d’un accroissement de puissance locomotrice passant du fini à l’infini permet de penser à quelque chose qui siégerait à la fois en plusieurs lieux différents ; autrement ce serait penser que cette chose est dans chacun de ces lieux, et qu’en même temps elle n’y est pas ; et cela, c’est ce qui ne se peut penser. Mais, a dit Pascal : « Je vous veux faire voir une chose infinie et indivisible ; c’est un point se mouvant partout d’une vitesse infinie. » Et en effet, l’infini ôterait la contradiction, si lui-même n’était pas contradictoire.

Le trait le plus saillant de l’atteinte portée par la thèse de l’ubiquité à l’ordre rationnel des rapports spatiaux, et à la loi même de l’étendue, se rencontre dans le dogme catholique de la présence réelle, parce que c’est d’un corps qu’il s’agit, quoique du corps d’un dieu, et que ce corps est supposé localisé tout entier dans une multitude de lieux à la fois. Mais l’alliance de l’éternité simultanée et de l’ubiquité avec la providence absolue éclaire bien plus profondément la méta-