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Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/242

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choses. Les doctrines de Pythagore, de Platon, d’Aristote, sont construites avec le sentiment de cette nécessité. Mais quand la pensée de l’unité prévaut, un système entièrement réaliste est impuissant à fournir une solution du problème. Le philosophe n’a que la ressource d’introduire, pour ainsi dire, l’ennemi dans la place. Pour éviter un jugement déclarant le monde positivement mauvais, il déclare le mal inhérent à l’harmonie du monde, en d’autres termes, un bien dans le fond. C’est ainsi que, après Héraclite, qui regardait la division comme l’agent même de l’harmonie et identifiait les contraires, le stoïcisme enseigna que le mal est une condition, même logique, du bien. Plus ou moins amendée, cette théorie s’attacha dès ce moment à toute théodicée.

L’évolutionnisme moderne, s’inspirant de la doctrine du progrès, que les anciens ignoraient, accepte de prendre le mal pour le précédent naturel et la condition suffisamment justifiée du bien attendu dans l’avenir, encore que ce bien, à mesure qu’il arrive, ne profite point à ceux qui ont souffert auparavant, et ne soit promis à personne qu’à des êtres à venir, et pour un temps seulement. C’est donc le sacrifice de l’individu, avec l’abandon des anciennes doctrines théistes. Mais celles-ci n’étaient jamais parvenues, qu’elles fussent émanatistes ou créationnistes, à éclaircir l’idée d’un monde dont le plan fût conciliable avec la parfaite bonté de son principe. La privation est, dans ces deux branches de la théologie, l’explication constamment proposée pour le mal physique, mal toutefois très positif ; et l’on y tient le monde pour le meilleur possible. Le mal moral est, d’après le système de l’émanation, l’effet de la chute des âmes dans les corps ; la matière est alors prise pour le principe du mal, ce qui revient à un