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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/131

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D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

mère, ma sœur qui est morte, et moi chez un homme fort riche, qui protégeait mon père, j’ai reçu là une certaine éducation. Mais ma sœur me surpassait, elle vous aurait enchanté. — Non. pas autant que vous, chère Sara, est-il vrai que vous consentez à être mon amie, ma consolation ? — Oui, oui, oui, vous serez aussi mon ami et ma consolation ; je veux que l’intimité règne entre nous. — Elle fera mon bonheur ; donnez-m’en quelque signe, ma Sara ? — Quel signe ? — Tutoyez-moi ? — Ah, mon père ! — Une fille bien tendre tutoie quelquefois… — Si je le savais… — Rien n’est plus certain… — Allons, dis-moi : papa, je t’aime de tout mon cœur. — Papa, je vous, je v… Ce tu ne veut pas venir sur mes lèvres. — Je vais les en punir… Voyons à présent ?… — Papa, je v… je t…, papa, vous aime, et je t’aimerai toujours. — Je t’adorerai jusqu’à mon dernier soupir, ma jolie Sara. — Aimable papa, mon dernier soupir sera pour toi. — Le voilà, ce mot charmant, tu l’as dit ! — Tu l’as entendu !… s’il te fait plaisir, tu l’entendras… tous les jours… — Ah ! plût à Dieu !… — que je te verrai.

Le mardi, vers les dix heures, la jolie Sara s’en retourna chez sa maîtresse. Après son départ, la mère monta chez moi. « J’ai à vous parler, me dit-elle, au sujet de ma fille. Vous voyez combien elle a de mérite ! Je ne veux pas la donner à ce morveux de du Châtaigner !… Vous a-t-elle confié ses sentiments au sujet de M. du Châtaigner ? — Elle n’y pense plus, répondis-je, et vous pouvez disposer d’elle, je vous en assure. — En êtes-vous bien certain ? — Je crois l’être, madame. — Eh bien, j’en doute encore. Mais supposons-le ! Il faut que je vous dise ma position actuelle. D’abord, je vous annonce, moi, que je n’ai pas de préjugés… Voici donc ce que je voulais dire. Un M. Legrainier, qui me connaît depuis quinze ans, offre de donner à ma fille vingt mille francs une fois payés, non pour qu’elle soit sa maîtresse, ses vues sont honnêtes, il lui servira de père, si elle ne veut que cela de lui ; peut-être, si elle consentait, serait-il son amant… mais il ne l’exige pas. Ma fille refuse absolument d’accepter : si vous pouviez l’y déterminer ?… Je suis d’une