Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
LA DERNIÈRE AVENTURE

santé chancelante, quoique j’aie l’air de me bien porter ; si elle venait à me perdre subitement, que deviendrait-elle ?… Au moyen de la somme que veut lui donner cet honnête homme, ancien protecteur de son père, elle pourrait se faire une rente sur sa tête, car jamais elle ne veut songer au mariage. (Il faut observer que je n’étais pas mariable, moi, confident de la dame.) Et avec ce que je lui laisserai, elle aurait assez pour subsister honnêtement. Le temps s’écoule, la beauté passe, déterminez-la, je vous en prie ? — Je n’ose vous promettre, répondis-je, étonné de la commission qu’elle me donnait, de la déterminer dans une chose aussi scabreuse, et où les apparences sont contre les bonnes mœurs. Cependant, la confiance que j’ai en vous me fait croire que le fonds est pur. — Vous ne pouvez en douter ; d’ailleurs, si vous le voulez, vous dînerez avec M. Legrainier, que j’inviterai l’un de ces jours ; nous parlerons librement devant vous, après que je l’aurai assuré de notre intimité ; vous l’interrogerez et vous jugerez par vous-même. » J’acceptai la proposition et nous changeâmes d’entretien. Mais, dans un moment où il était question de moi, elle me dit : « Vous, par exemple, c’est dommage ! vous êtes dans la maison, cela ne paraîtrait pas ! » Je fus plus que surpris de ce langage singulier, ma fortune étant très bornée. Je ne parus pas goûter son projet, qu’elle me faisait entrevoir assez clairement, et j’eus dans l’idée que l’Honnête homme aux vingt mille francs était une sorte d’émule supposé, qu’on me présentait pour me faire parler ; mais il était réel, il n’y avait que les vingt mille livres et l’honnêteté des vues qui fussent chimériques.

D’après, cet entretien, je me tins ou je crus me tenir sur mes gardes au sujet de Sara. Cependant j’attendis le dimanche avec impatience, surtout les derniers jours. Ceci aurait dû m’inspirer de la méfiance sur mes sentiments déjà trop tendres. Mais ce qui me rassurait, c’est que je n’étais pas fâché de voir partir Sara, lorsqu’elle s’en retournait chez sa maîtresse ; je croyais bonnement que je m’ennuyais de sa vue : c’était bien une autre cause qui agissait sur moi. Les sensations qu’elle me causait