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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/134

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LA DERNIÈRE AVENTURE

un air riant. « Je vous dirai que ma mère et moi nous avons eu ce matin une dispute à votre sujet. — Ah ! ma charmante amie ! comment cela ? — Ma mère me disait : « Sais-tu bien, ma fille, que M. d’Aigremont a été bel homme et qu’il l’est encore ? Si j’avais une inclination à faire, je le préférerais par goût. — Je ne veux pas, maman. — Pourquoi ? — C’est que je le prends pour moi. — Nous verrons qui l’emportera ; je l’aime beaucoup. je suis plus belle femme que toi, tu ne me vaudras jamais. — Je sais ce que vous êtes et ce que je suis, c’est pourquoi je ne veux pas que vous lui fassiez des avances. — Nous verrons, nous verrons. — C’est tout vu, je veux m’en faire aimer. — Et quel moyen prendras-tu ? — Mais le bon moyen. — Tu l’aimeras ? — Oh ! je ne l’aimerai pas. — Tu l’aimes ? — Si ça était ? — Dame, en ce cas, écoute donc, je pourrais bien échouer. — Oh ! bien oui, mais je vous crains toujours. — Je t’assure, Sara, que je l’aimerai. — Je vous assure, maman, que moi aussi. — Je ne sais si je dois céder, car enfin tu n’es qu’une morveuse, et tu ne sauras pas conserver un cœur comme celui-là ? — Eh bien, essayez-en ? — Ah oui ! j’irai exposer un ami, mon plus ancien locataire, l’homme que j’estime le plus, aux chagrins que pourrait lui causer une jeune tête de dix-huit ans. — J’en ai dix-neuf, je voudrais en avoir vingt-cinq. — Va, va, tu n’es pas trop jeune pour plaire, ce n’est que pour être constante. — Je le serai. — Si j’en étais sûre… — Soyez-le, maman, j’ai trouvé l’homme qu’il me fallait… »

Sara fut interrompue en cet endroit par sa mère qui vint encore nous trouver, pour me prier de faire une nouvelle lettre, plus sèche que la première, au père du jeune du Châtaigner. Je pris la plume et la mère et la fille me quittèrent pour me laisser écrire.

Je dînai avec elles et Valfleuri ; nous passâmes ensemble une partie de l’après-diner. Sara chanta en s’accompagnant de la guitare ; elle déclama un rôle de Zaïre qu’elle apprenait et le rendit avec beaucoup de sensibilité. Elle me proposa ensuite de la diriger quelque jour dans la composition d’un ouvrage. Ce