Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

étaient si délicieuses et si vives, qu’elles fatiguaient mes organes ; c’était le besoin de repos, et non l’ennui, qui me faisait désirer quelquefois le départ de Sara !… Cette erreur funeste établit ma sécurité, car je devais plus que jamais redouter l’amour…

Sara revint chez sa mère dès le samedi soir. Un instant après son arrivée elle monta me rendre visite. Je la reçus en amant plutôt qu’en père, mais je ne le sentais pas… O si Mens non lœva fuisset !… « Je ne puis rester avec toi qu’un instant, papa ; mon empressement à venir te voir a paru surprendre ; je ferai ma visite courte, afin que l’on croie qu’elle n’est que de politesse. — Charmante enfant ! tu as autant d’esprit et de délicatesse que de beauté ! Je t’adore… je te chéris, dis-je aussitôt en me reprenant, je t’aime en tendre père… Va, ma fille, retourne auprès de ta mère et de Valfleuri ; que ta réputation, même à leurs yeux, se conserve aussi pure que tes charmes sont touchants !… » Après l’avoir tendrement embrassée, suivant la nouvelle manière qu’elle m’avait permise à sa dernière visite, je la renvoyai avec un nouveau présent en livres. « Voilà une excellente excuse, lui dis-je, tu répondras, ma chère fille, que tu n’avais plus rien à lire et que tu t’es hâtée de me venir demander ces livres. »

J’allai passer la soirée avec elle.

Le lendemain, dimanche 13 janvier, Sara vint me voir sur les onze heures. Emporté par ma passion, je pris avec elle une liberté décisive. Elle rougit, mais à peine fit-elle de la résistance. Cette dernière circonstance me frappa et m’enhardit. Cependant je me contentai de lui faire des caresses. Elle me tint les discours les plus sensés, les plus affectueux. Je lui parlai des vingt mille francs et je lui demandai si elle croyait pouvoir les accepter sans se faire tort ? (Je disais cela bonnement à une fille qui venait de souffrir une liberté décisive : mais j’ai toujours été bonace.) Sara baissa la vue, rougit, s’assit, et je vis des larmes dans ses yeux. Je la pressai de me répondre, « Ah ! si j’osais parler ! » Je redoublai mes instances. Elles furent inutiles. Je lui fis les plus tendres caresses et elle y répondit ; ensuite, elle prit